Par Betty Luther
Illustrations : Mathieu Delord
Le saviez-vous ?
C’est Coca-Cola qui est à l’origine de la tenue du père Noël. C’est en effet en 1931 que l’héritier de Saint-Nicolas prit finalement une toute nouvelle allure dans une image publicitaire, diffusée par la compagnie Coca-Cola. Grâce au talent artistique du célèbre illustrateur new-yorkais Haddon Sundblom, le père Noël avait désormais une stature humaine, le rendant ainsi plus convaincant et nettement plus accessible avec un ventre rebondissant, une figurine sympathique et un air jovial. Aussi, la longue robe rouge fut remplacée par un pantalon et une tunique. La firme souhaitait, ainsi, inciter les consommateurs à boire du coca-cola en plein hiver.
La publicité comparative est souvent l’arme du challenger, du petit contre le gros, de David contre Goliath, de celui qui a intérêt à faire du bruit pour exister et se faire entendre.
Pour rappel durant les années 30 : crise, new deal et luttes sociales, les boissons gazeuses étaient très saisonnières et l’hiver, par logique, la période la moins propice à la consommation de boissons gazeuses. Alors, pendant près de 35 ans, dans le but de changer la donne, Coca-Cola, diffusa ce portrait du père Noël dans la presse écrite et ensuite à la télévision partout dans le monde. Eh, oui, durant sa longue nuit de livraison, le père Noël doit bien avoir soif ? Fini le verre de lait et les cookies au-dessus de la cheminée, car quoi de mieux qu’un coca-cola pour se donner des forces ? Et en plus, il porte déjà les couleurs de la marque. L’idéal pour associer facilement deux icônes mondialement connues, me diriez-vous. Et c’est ainsi que le père Noël créé par Sundblom est devenu depuis plus de 70 ans la référence absolue du père Noël. C’est par ces idées de génie que les grandes marques se différencient des petites, en utilisant souvent la comparaison pour affirmer encore davantage leur grande puissance.
La publicité comparative quèsaco ?
Très en vogue dans les pays anglo-saxons, la publicité comparative repose sur une technique publicitaire, très simple, qui vise à promouvoir un produit qui, par le biais d’un message, compare le service rendu ou le bien fait autour de ce produit comparé à celui d’une compagnie concurrente. Ces comparaisons s’effectuent sur des caractéristiques spécifiques de la marque, sur des positions de marché, sur leur valeur, leur rendement, sur des points de vente, ou alors leur disponibilité. On a tous encore en tête ces formidables publicités entre Coca-Cola et Pepsi, ou encore entre Apple et Microsoft, qui constituent de véritables combats d’anthologie, ironiques et décomplexés. Comme cette publicité de 2002, signée de l’agence californienne Crispin Poter Bogusky, montrant le clown Ronald de McDonald’s se restaurant en cachette chez… Burger King. Pepsi, toujours irrévérencieuse, n’est pas en reste : « We love Coca-Cola », confesse en 2010, le soda, par la voix de son agence Chiat Day… un 1er avril !
© Burger King
La publicité comparative est souvent l’arme du challenger, du petit contre le gros, de David contre Goliath, de celui qui a intérêt à faire du bruit pour exister et se faire entendre. Elle permet ainsi de déstabiliser les certitudes du leader, et joue comme un stimulus. C’est une façon de faire parler de soi, défier un leader, bénéficier de la notoriété d’un concurrent, ou tout simplement de capter la sympathie et l’adhésion du consommateur avec ou sans humour. Ce concept permet en outre d’argumenter la quantité d’informations de manière objective à destination du consommateur. Et c’est dans le secteur de l’automobile et de la politique que les premiers messages de la sorte apparaissent aux États-Unis. Ainsi, dans les années 30, on pouvait voir une Chrysler placée à côté de deux autres voitures où un agent commercial proposait de les essayer toutes les trois avant l’achat.
Il faut savoir que cette technique a été plus ou moins mise de côté jusqu’en 1970, en raison du refus de CBS et ABC, deux des trois plus grandes chaînes de radiotélévision américaine, de publier de tels messages, craignant une mauvaise réaction des marques attaquées. C’est finalement le Bureau Fédéral de la Communication (F.T.C) qui dégèlera la situation en incitant l’ensemble des annonceurs à utiliser cette forme d’expression, et les supports à l’accepter plus facilement. Bien qu’implantée aux États-Unis, en effet, depuis les années 70, la France reste encore très timide en matière de publicité comparative. Analysons le concept de cette méthode, ses conséquences, ainsi que les raisons qui freinent la France à utiliser cet outil.
Pespi qui s'en prend à Coca-Cola.© Pespi
Avant / après : ou comment Coca-Cola réagi à la publicité Pepsi. © Coca-Cola
This is America, la guerre des colas .
Coca-Cola et Pepsi-Cola ont été parmi les premières marques à se livrer un duel sans merci. Il est d’ailleurs intéressant de constater que Coca-Cola est née en 1885 et n’a jamais changé son logo, alors que Pepsi, qui est née en 1898, a diffusé 11 designs différents et reste toujours derrière la firme basée à Atlanta pour ce qui est du chiffre d’affaires. Coca-Cola reste un symbole aux USA, il est aux boissons ce que Big Mag est à McDonald’s, une référence, une quasi-religion. Pepsi joue le décalage et frappe Coca-Cola en ses points sensibles. « Tout le monde boit Coca ? Ne faites pas comme tout le monde ! » conseille Pepsi aux jeunes rebelles des sixties. Objectif avoué : faire passer l’autre pour un croulant. « Vous êtes attaché à l’authenticité ? » rétorque le leader, au début des seventies. « Buvez Coca-Cola, it’s the real thing ». Sous-entendu : tout le reste n’est qu’imitation. Mais, au tournant des eighties, Pepsi appelle à la rescousse des stars telles que Michael Jackson, Lionel Richie… « The choice of a new generation » relance la guerre des âges.
La position de challenger permet toutes les insolences face à une marque notable, conservatrice par nature. Un spot de 1990 montre un club de troisième âge métamorphosé en colonie de vacances sous l’effet du Pepsi. Un autre transforme en un crooner alangui le rappeur MC Hammer, qui a avalé par erreur un peu de Coca-Cola, mais une gorgée de Pepsi va lui redonner tout son tonus ! McCann-Erickson, l’agence de Coca-Cola à l’époque, mitonne en secret un nouveau slogan, « new coke », « le nouveau coca », qui est un des plus beau coup marketing du siècle. En 1985, l’entreprise rouge décide de changer le goût de son produit phare, le « Classic » et le remplace par le « New Coke ». Annoncé en masse par un grand matraquage publicitaire pour l’époque, le « New Coke » arrive et finit par être un échec total. Certains sont même allés jusqu’au siège d’Atlanta pour revendiquer le retour du « Classic », d’autres allaient encore envoyer des courriers pour proclamer que la disparition du « Classic » correspondait à la mort d’un proche. Face à tant de réticences, Coca-Cola n’eut d’autre choix que de faire marche arrière, et ce jour-là, la chaîne nationale ABC interrompit ses programmes pour annoncer la nouvelle. Celle-ci fut si bonne que les ventes de Coca-Cola s’envolèrent lorsque le « New Coke » sortit des étages. Les consommateurs avaient tellement peur de perdre à nouveau le « Classic » qu’ils achetèrent en masse, et c’est ainsi que Pepsi perdit la guerre des colas et fut obligée de se diversifier. Ce n’est pas un hasard si une expression ultime telle que « Guerre » commerciale est utilisée, dans la mesure où le but des grandes filiales américaines est de rester numéro un en tuant le concurrent.
Dans le domaine des nouvelles technologies, la lutte entre Mac et Windows ne manque pas non plus de piquant, avec un net avantage pour Apple ! Pour continuer à rabaisser son éternel rival, l’entreprise basée à Cupertino en Californie a produit un spot mettant en scène deux personnages (Mac et PC), l’un jeune et décontracté, censé représenter l’enseigne à la pomme, et l’autre coincé et maladroit pour incarner la firme concurrente. On y apprend que Mac sait prendre de belles photos, peut réaliser facilement des films, ne connaît pas les virus, est beaucoup plus léger à manier que son concurrent… Bref, qu’il sait tout faire mieux que PC ! Dernièrement, McDonald’s et Dukin’ Donuts se sont inquiétés de la montée en puissance de la chaîne Starbucks. La marque du Big Mac a inventé le slogan suivant : « four bucks is dumb » (Quatre balles, c’est stupide), qui est à peu près le prix d’un expresso dans les cafés de la chaîne ciblant les consommateurs de café. Le prix a été jugé ridiculement onéreux par McDonald’s, et c’est précisément l’angle d’attaque que l’enseigne a choisi, profitant aussi à sa manière de la crise pour vanter ses produits, plus abordables. L’élément le plus agressif de cette campagne comparative implicite n’est d’ailleurs ni la cible, ni le slogan, mais le lieu puisque ce genre de panneaux publicitaires a fleuri en plein Seattle, le centre social de Starbucks ! Leader sur le marché du beignet, Dunkin’ Donuts est allé encore plus loin en utilisant un site Internet et un message affirmant qu’une série de tests aveugles réalisée auprès des consommateurs leur permettait d’affirmer que leur café était bien meilleur que celui de l’enseigne concurrente. Il y a tout à gagner avec le web : prolongement d’un canal complémentaire, faible coût, explication plus fournie, et temps illimité de communication.
(…) la publicité comparative reste ignorée de la plupart des annonceurs français. Pourquoi ? Parce qu’elle a longtemps été interdite en France et qu’elle est encore considérée comme fortement déloyale.
La publicité comparative à l’américaine et les joutes verbales entre Community Managers incarnent parfaitement cet esprit de camaraderie que les marques veulent se donner. Comme si le monde des marques n’était qu’une cour de récré sortie de Logorama. Mais tout rêve semble avoir ses limites, car si aux États-Unis, les marques s’en donnent à cœur joie, en France où elle constitue encore une démarche récente, la loi sur la concurrence est très stricte en matière de publicité comparative.
© Mathieu Delord
Le choix français.
Autorisée, en France, depuis le 18 janvier 1992, la publicité comparative doit son apparition à une jurisprudence de la Cour de cassation rendue le 22 juillet 1986, elle restait, alors, fortement encadrée, l’annonceur devant veiller à garder des principes de loyauté, de véracité et d’objectivité. Mais depuis l’ordonnance du 23 août 2001, plusieurs amendements ont été portés visant à rendre son utilisation plus souple. Il faut savoir que la publicité comparative reste ignorée de la plupart des annonceurs français. Pourquoi ? Parce qu’elle a longtemps été interdite en France et qu’elle est encore considérée comme fortement déloyale et à vrai dire, elle est encore perçue comme une « agression ». Elle est clairement mal vue. Ainsi, le consommateur français, plutôt que d’y voir son avantage, y voit là un procédé mesquin, visant à dénigrer la concurrence. L’effet désiré peut donc s’avérer inverse et l’on comprend la « frilosité » française en matière de publicité comparative. À ce sujet, la publicité Vico diffusée le 1er février 2003 par TF1 et M6 illustre cette difficulté de réception. Cette publicité citait en effet la marque concurrente Mousseline en comparant la composition des deux produits. C’est ainsi que beaucoup de téléspectateurs avaient alerté le CSA, car ils ignoraient la légalité de ce type de publicité en France. Selon l’article L121-8 du Code de la consommation, une publicité comparative est licite si la comparaison porte « objectivement (sur) une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. »
Il semble que la moralité prenne en publicité comparative une plus grande place que dans la publicité traditionnelle : on pourrait entendre derrière ces obligations d’objectivité la morale chrétienne : tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain.
En France, on privilégie la publicité comparative implicite. Question éthique et morale, mais également juridique. Parce qu’elle est très encadrée, la publicité comparative en France est très difficile à appliquer, c’est pour cela que les marques préfèrent se comparer à leurs concurrents de manière beaucoup plus discrète, mais parfois très éloquente. Oui bien sûr, le produit concurrent n’est pas explicitement cité, mais si l’on regarde bien, on comprend de suite de quoi il s’agit. Par exemple les marques de lessive : celles-ci prouvent leur efficacité par des démonstrations. D’un côté la marque en question et de l’autre la marque X censée être anonyme, mais qui en réalité reprend l’emballage du concurrent visé. Tout d’abord, qu’appelons-nous « publicité comparative implicite » : c’est une comparaison qui respecte les règles éthiques.
La publicité comparative implicite est faite de sous-entendus et d’indirecte. Elle ne cite jamais le nom de ses concurrents, mais elle fait tout de même comprendre de manière élégante et déguisée au consommateur sa comparaison. On constate que les quelques spots diffusés en France sont principalement basés sur des comparaisons de prix. Il s’agit surtout d’une utilisation des chiffres. On dit par exemple qu’un produit A est plus cher au magasin 1 qu’au magasin 2. On va même jusqu’à préciser cette différence par des pourcentages. Cela peut être assez lourd, et surtout peu créatif. Depuis les premiers spots à aujourd’hui, on ne connaît presque qu’exclusivement ce genre de publicité comparative.
© Carrefour
Parmi les premiers, on se souvient de Télé 2 moins cher que France Télécom. Aujourd’hui, Leclerc a la même stratégie en annonçant que ses produits sont en moyenne moins chers que chez Auchan ou Système U. Il faut le dire, les entreprises ne supportent pas d’être victimes de la comparaison. Cela peut sembler une évidence, mais là où dans d’autres pays elles se contentent de répondre par d’autres publicités comparatives (Coca/Pepsi, Audi/BMW…), les entreprises françaises semblent avoir le recours en justice facile, et les procès à ce sujet ne manquent pas : on compte d’abord un certain nombre de procès antérieurs aux années 2000. Plusieurs portent simplement sur la non-communication préalable à l’entreprise visée (fait obligatoire avant 2007), d’autres sur une simple publicité mensongère, mais les cas les plus intéressants sont de loin ceux portant sur l’objectivité.
Quels critères sont objectifs ?
Le critère du prix a depuis les débuts de la publicité comparative en 1986, été entériné comme objectif. Il va de soi que celui du goût, de la saveur, ne l’est pas. Mais qu’en est-il par exemple de celui des ventes ? C’est la question que soulève le procès qui opposa Volkswagen à Renault au sujet du slogan : « Renault vend deux fois plus de voitures en Allemagne que Volkswagen en France ». Curieusement, le slogan sera jugé subjectif, ne se base-t-il pourtant pas sur un fait vérifiable ? Évidemment, cette comparaison ne veut pas dire grand-chose : la France et l’Allemagne n’ont pas la même population, n’ont pas les mêmes habitudes en matière de voiture, la publicité de Renault peut donc induire le consommateur en erreur. On observe pourtant dans la publicité traditionnelle des slogans bien plus sujets à la tromperie qui pourtant ne soulèvent aucune critique ou procès.
Prenons pour exemple le subtil slogan d’Axe : « Plus t’en mets, plus t’en as ! », peut-on vraiment affirmer qu’un déodorant influe sur la virilité ? De l’autre côté ni le tribunal de grande instance ni la cour n’ont jugé inappropriée la représentation des audiences de NRJ et d’Europe 1 sous la forme de canette sous-titrée « NRJ, nouvelle contenance ; 30 % d’audiences de plus qu’Europe 1 » dans une publicité de 1993. Il s’agit aussi ici de critères quantitatifs de public, de ventes (même si l'on préfère parler d’audience), et des différences entre Europe 1 et NRJ peuvent aussi bien rendre ce slogan trompeur (Visent-ils le même public ? Couvrent-ils le même territoire ?). On voit donc que l’idée d’objectivité, de pertinence pose problème dans la publicité comparative, alors que personne ne s’en embarrasse autant pour les autres types de publicité. Il semble que la moralité prenne en publicité comparative une plus grande place que dans la publicité « traditionnelle » : on pourrait entendre derrière ces obligations d’objectivité la morale chrétienne : tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain.
À la suite des directives européennes entrées en vigueur en 2002 et 2006, la notion d’objectivité tend à disparaître. Les procès au sujet de publicité comparative ne sont pas pour autant moins nombreux : Renault contre Feu Vert, Carrefour contre Leader Price… On retrouve la notion de publicité mensongère, mais une nouvelle notion apparaît : celle de dénigrement. C’est en ce sens que Nespresso assigne ChacunSonCafé en justice, ainsi que pour publicité comparative illicite. Si en février 2010, ChacunSonCafé est relaxé pour la publicité comparative illicite, le site est condamné à 10 000 euros de dommages et intérêts pour dénigrement. Là encore, il est légitime de se poser la question : le simple fait de s’affirmer meilleur qu’un autre ne constitue-t-il pas un dénigrement ? Qu’y a-t-il de mal à dénigrer pourvu que ce soit rigoureusement argumenté ? Il semble qu’une fois de plus, les entreprises en France se targuent de morale pour défendre leurs propres intérêts, jouant les victimes face à toute tentative de concurrence pour un peu agressive. La mise en vente de machines à café non interopérable ne témoigne-t-elle pourtant pas d’une attitude plus agressive encore ?
Ce n’est pas tant la loi qui freine la création de publicité comparative, mais les entreprises elles-mêmes qui exploitent chaque point de cette loi pour se défendre de toute comparaison éventuelle. Cette tendance ne pousse évidemment pas les entreprises à réaliser des publicités comparatives elles-mêmes, redoutant les réactions et réponses de leurs concurrents. Pourtant, l’effectivité de la méthode n’est pas en cause : « Nos enquêtes démontrent que les campagnes comparatives ont un pouvoir d’information, de conviction et qu’elles augmentent l’intention d’achat, selon Pierre Gomy, directeur marketing de l’institut d’études Millward Brown (WPP). Et après la crise de 2008, nous avons constaté que les pubs comparatives figuraient parmi les formats publicitaires les plus efficaces… »
En France, les marques prétendent que ce n’est pas seulement la loi qui bride les annonceurs, mais la mentalité des consommateurs qui dénigrent ce discours du « c’est moi le plus fort ».
Autorégulation et frilosité. Dès 2009, le match a commencé entre les hypermarchés. Leclerc a pris l’initiative avec son comparateur de prix, mais Intermarché, Casino, Carrefour ont vite rebondi et rectifié leur positionnement prix. Leclerc continue d’innover en plaçant le consommateur comme un acteur au cœur des rayons avec le comparateur de prix sur son smartphone. Ce match aura été rapide et sans grands rebondissements aux yeux du consommateur. Alors qu’aux États-Unis, une à deux fois par an, les Américains prennent plaisir à voir Coca-Cola et Pepsi s’affronter avec humour. Ou même Burger King se déguiser en McDonald’s pour Halloween. Ainsi la publicité comparative peut-elle pallier le désamour des consommateurs pour la publicité ?
Outre-Atlantique, au pays du libre-échange et de l’autodérision, cela semble fonctionner pour les annonceurs. En effet, la publicité comparative représente en France et en Europe moins de 3 % des volumes de campagne, contre 7 % aux États-Unis. La situation aux États-Unis est, en effet, tout autre. C’est là que la publicité comparative est née, il y a plus de 40 ans, fondée sur le principe de la liberté économique ultralibérale. Cette démarche commerciale est considérée comme légitime, en raison de son caractère informatif. Elles font souvent rire (cf. campagnes de pub Pepsi vs Coca-Cola), sont créatives ; et si « l’attaque » est faite avec subtilité et justesse, cela devient un bonus non négligeable pour la marque qui compare. Les Américains sont aujourd’hui plus que jamais friands de ce genre de spot. Aux États-Unis, on se préoccupe moins de la sensibilité de chacun et on s’occupe de faire vendre. Jean-Marie Dru, publicitaire français actuellement basé à New York, a observé que « les créatifs Européens cherchent des idées, et quand elles sont stratégiques et astucieuses, il se trouve qu’elles font vendre. Leurs homologues américains sont plus directs. Ils cherchent ce qui va faire vendre ».
La publicité américaine n’est pas limitative et pratiquement tous les corps de métier sont autorisés à en faire. Il est courant de voir des hôpitaux, des médecins et même des politiciens passer des annonces diverses. Par exemple, il y a quelques années, Michael McIntee (Parti démocrate américain) avait fait circuler une publicité pour appeler à voter pour Chris Carney à la place de Don Sherwood. La publicité comparative aux États-Unis est donc bien ancrée dans les mœurs, appréciée et même demandée par les consommateurs. Le succès de la série des publicités Mac/PC en est la preuve.
En France, les marques prétendent que ce n’est pas seulement la loi qui bride les annonceurs, mais la mentalité des consommateurs qui dénigrent ce discours du « c’est moi le plus fort ». Sur Internet, les forums consacrés à ce sujet regorgent de commentaires assassins vis-à-vis de la publicité comparative : « C’est taper sous la ceinture », « Pourquoi s’abaisser à ce genre de pratique ? », « Se comparer de la sorte, c’est prouver que l’on a un complexe par rapport à son concurrent ! », ou encore « Si c’est tout ce dont ils sont capables pour faire leur publicité, c’est qu’ils n’ont pas grand-chose à dire… ». En résumé, voici ce que la publicité comparative représente à leurs yeux : un manque de fair-play, une pratique « basse et petite », c’est afficher un complexe d’infériorité, un manque de créativité… Ce n’est qu’un petit florilège des réactions suscitées par ces publicités. Alors que la volonté initiale du comparant était de faire valoir sa différence face à la concurrence pour le bien du consommateur, celui-ci acquiert une très mauvaise image auprès de celui qu’il voulait « charmer ».
Au paroxysme de la mauvaise pioche, il y a la campagne de Feu Vert. En 2009, l’enseigne française lance une campagne de publicité télévisée comparative sur une sélection de pneus reprenant les chiffres d’une étude exclusive BVA. Les comparés sont : Point S, Speedy et Renault. Ce qui va poser problème alors à un certain nombre de Français, c’est le slogan de la publicité : « Je ne dénonce pas, j’informe ». Pour beaucoup, le choix des mots est très délicat et s’apparente même à une période sombre de notre histoire : la collaboration durant l’occupation de la France par les nazis. La réaction est effectivement violente et disproportionnée, mais c’est l’utilisation de verbes : « dénoncer » et « informer », en plus du ton assez arrogant prêté au chat Feu Vert, qui vont déplaire. Dès lors, on trouve sur la Toile un florilège d’accusations à ce sujet, traitant l’enseigne et le chat de « collabos » (il existe même un groupe sur Facebook intitulé : « le chat Feu Vert est un collabo ! »). Inutile de dire à quel point ces réactions sont extrêmes bien entendu, mais voici ce que provoque une campagne de publicité comparative en France. Le regard de l’autre est un aspect beaucoup plus important dans les pays anglo-saxons qu’en France, nos manières de communiquer sont totalement différentes. Cette attention aux regards extérieurs n’existe pas en France. Les marques tiennent à ce que l’on parle d’elles et pas de leurs concurrents dans leurs publicités. S’il y a comparaison avec une autre marque, la réclame est divisée en deux, ce qui laisse moins de temps pour présenter la marque commanditaire de la publicité. C’est donc afin d’optimiser leur espace d’expression que les marques françaises utilisent peu les méthodes de publicité comparative. Pour les marques ces éléments de langage ne sont pas valorisants et source de problèmes s’ils sont mal employés. Ils préfèrent exploiter leurs valeurs et leurs engagements plutôt que de s’attaquer directement aux concurrents.
Une bonne excuse ou un réel frein à la créativité ?
Smart a prouvé en 2015 qu’il y avait encore de quoi faire travailler l’imagination des publicitaires tout en respectant la loi, aussi stricte soit-elle. Bien que la publicité comparative soit autorisée, elle reste très peu utilisée en Europe. Plus qu’un manque de créativité, il s’agirait plutôt du souci de ne pas heurter les consommateurs. En effet, on constate que les publicitaires n’osent pas faire de comparaison avec les concurrents de peur que la publicité ait l’effet inverse, c’est-à-dire qu’une comparaison agressive aurait pour effet de « se faire mal voir » par le consommateur ; être agressive envers un concurrent ne revient pas à se mettre en avant. Éric Delannoy, directeur de l’agence Talents Only, a même déclaré en 2009 : « Aujourd’hui, lancer une publicité comparative en France, c’est jouer à la roulette russe ».
De plus, les différences culturelles qui existent entre les États membres de l’UE sont telles qu’il est difficile de transposer ce genre de publicité d’un pays à l’autre. Le meilleur moyen de réaliser la carence de créativité française en matière de publicité comparative est encore de regarder à l’étranger. On a déjà vu dans l’influence de la réglementation à quel point les États-Unis, notamment, sont inventifs en la matière, mais on a vu aussi comment leurs publicités les plus marquantes ne sont pas transposables en France en raison de leur caractère gratuit et non argumenté. Il existe cependant des publicités inventives, ne s’appuyant pas sur l’argument du prix, mais sur d’autres critères de comparaison. On peut citer la publicité du Kindle comparé à l’iPad.
Ici, le point de comparaison est la lisibilité au soleil des deux terminaux. La publicité n’est ni mensongère ni subjective, et se construit autour d’un critère parfaitement comparable. Elle va pourtant au-delà d’un bête tableau comparatif, mettant en scène un scénario, des personnages… Même chose pour la publicité comparative de Dell qui compare son ultra portable au MacBook Air d’Apple. Reprenant la publicité dans laquelle Apple mettait en avant la petite taille de son MacBook, Dell prouve que sa Latitude E4200 est encore plus petite. Là non plus, rien de mensonger, seulement des faits et un clin d’œil très appuyé à la publicité d’Apple. Aucune de ces deux publicités n’enfreindrait en France le cadre légal, pourtant, on ne voit jamais sur les écrans français des publicités comparatives inventives, ingénieuses, comparables à celles-ci. Est-ce que les publicitaires français sont simplement plus mauvais ? C’est peu probable, c’est surtout dans la culture qu’il faut chercher les raisons de ce décalage.
Légalisée tardivement, la publicité comparative n’est pas dans les mœurs françaises. Elle n’est donc peut-être pas considérée comme rentable, efficace. On voit bien que si la loi restreint la créativité, c’est aussi une forte autorégulation et frilosité des entreprises et publicitaires qui empêchent cette technique de se développer en France. Ce sont ces décisions qui portent les filiales au sommet de la hiérarchie, actes dont les Français commencent à peine à en voir le bénéfice.
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