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Yannick Hilaire | Wiwashimara

Dernière mise à jour : 12 mai 2023

Propos recueillis par Ken Joseph

Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin

 




Ils s’appellent Johan, Yannick ou encore Lionel… Et ils ont osé se lancer dans l’entrepreneuriat avec ou sans succès. Puis ont tout recommencé à zéro pour retrouver l’adrénaline des débuts. L’essentiel quand tout reste à construire à partir d’une simple idée, de rien. Rencontre de ces serials entrepreneurs qui par force de persévérance ont décidé de ne rien lâcher…



Son parcours


Après le bac et l’obtention d’un BTS en commerce international, je me suis installé en métropole, j’y ai vécu dix ans. J’ai continué mes études en obtenant une licence et un master en commerce international puis en marketing digital. J’ai eu la chance de travailler dans de nombreuses multinationales. Ce qui m’a permis de toucher de près à un univers et un niveau d’exigence que l’on ignore bien souvent quand on est insulaire. C’est extrêmement formateur. J’y ai découvert la dure réalité du monde du travail, de la couleur de peau, des relations humaines, la rigueur entre autres choses.


Je n’ai jamais tenu le discours suivant « Je ne veux plus de patron ni de chef ». Je voulais juste faire partie d’une aventure, d’un projet, qui me dépasse et avoir l’impression que ma voix et mes idées comptaient.

Au début, durant certains hivers, on a juste envie de faire sa valise et de rentrer. Partir m’a éloigné de la musique, qui a toujours été ma plus grande passion. En étant étudiant, j’ai pu en profiter et m’y adonner, au détriment de mes cours. Puis en commençant à travailler, j’écrivais moins de chansons, j’enregistrais moins. Il a fallu faire un choix et cela n’a pas été si simple. Mais j’ai eu la chance que l’inspiration me frappe aux bons moments, me permettant de rester en contact avec mon public. Avec mon frère, Rafya, nous avons pu faire un tour de France des clubs et découvrir de nombreuses villes grâce à la musique. C’était magique ! En parallèle, j’ai beaucoup voyagé, c’est une autre de mes assuétudes. J’ai pu ainsi découvrir l’Europe et de nombreux autres pays grâce au travail, aux envies, mais aussi aux rencontres fortuites. Aujourd’hui, je voyage moins et cela me manque cruellement. J’ai adoré mes années étudiantes. J’ai essayé de faire ce que j’aimais, cela n’a pas toujours été possible faute de courage parfois ou d’argent, mais je n’ai point de regrets.



Le déclic


Je parle souvent de l’insularité qui est une chance merveilleuse, mais aussi la source de blocage. On pense souvent à tort que le monde s’arrête à notre barrière de corail ou alors du fait de notre passé, de notre histoire, nous nous pensons inférieurs. Ou pire que telle ou telle activité n’est pas faite pour nous. J’ai toujours eu en moi une forme de curiosité qui dépassait le seul besoin de lire ou de chercher à comprendre. Je suis aussi un grand insatisfait, tant qu’à faire. Du coup, je n’hésitais pas à aider mes amis et collègues dans leurs projets et réflexions. Je soumettais mes innombrables projets à mes proches, qui arrivaient souvent à des points de saturation.


Le déclic est venu le jour où j’ai soumis une idée à une de mes collègues. Je travaillais à l’époque dans un groupe alimentaire et la réaction qu’elle a eue face à ma volonté désintéressée de l’aider et de lui apporter des informations, qui plus tard se sont révélées intéressantes, m’a vraiment choqué. L’idée même d’exercer un travail 39 h par semaine – en théorie – et se contenter d’exécuter une tâche sans jamais se remettre en question ou tenter de nouvelles approches me rend malade. À la fin de mon contrat et malgré l’opportunité de CDI qui m’était donnée, j’ai refusé et j’ai décidé de consacrer une année à chercher ma voie et un projet dans lequel je m’épanouirais.


Après mon échec, j’ai eu une période de déprime. On ressent une forme de honte liée à l’échec, french culture.

Je n’ai jamais tenu le discours suivant « Je ne veux plus de patron ni de chef ». Je voulais juste faire partie d’une aventure, d’un projet, qui me dépasse et avoir l’impression que ma voix et mes idées comptaient. Je pense – et j’espère qu’un institut fera un jour une étude dessus – que la moitié des entrepreneurs sont juste des personnes qui auraient voulu être mieux valorisées, appréciées, écoutées dans leur travail et qui seraient encore en poste aujourd’hui, si cela avait été le cas.


Au début de mon aventure, je me suis rapproché de Pôle Emploi pour savoir ce qui était possible. On rentre alors dans une case « créateur d’entreprise » et l’on suit un parcours classique durant lequel on rencontre des gens censés vous aider à créer une entreprise. Ce fut la pire erreur de ma jeune carrière. L’institution Pôle Emploi, je ne parle pas des agents qui n’y sont pour rien, n’est pas prête/faite pour cela. La culture française ne l’encourage pas. Du coup, j’ai perdu du temps, de l’argent, je me suis essoufflé, égaré, découragé.


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Je souhaitais lancer un projet de box beauté ethnique et bio par abonnement. Le timing était bon, mais mes fournisseurs n’étaient pas prêts, bien que motivés. C’était jouable. Je me suis laissé alors embarquer dans une bureaucratie sans fin. Des commissions de personnes trop âgées me réclamaient un prototype, un site, des promesses, un logo, etc. Je pensais que c’était la bonne façon de procéder, je me trompais, ils me trompaient. En fin de compte, j’ai perdu des mois entiers, j’ai gaspillé de l’argent dans la conception de choses inutiles, j’avais du mal à définir un équilibre dans le partage des revenus, je devais trouver une solution pour payer mon loyer, j’ai décidé de laisser tomber. Ce fut mon premier échec.



Le rebond


Dans la vie, on rencontre toujours les bonnes personnes. Mais il faut être prêt et ouvert, voire courageux. Après mon échec, j’ai eu une période de déprime. On ressent une forme de honte liée à l’échec, french culture. On ne veut pas sortir, on ne veut pas en parler, on cherche des excuses, etc. À cette époque-là, un de mes meilleurs amis entrepreneurs rentrait de San Francisco. Nous sommes sortis boire un verre et je lui ai raconté mes problèmes. Après m’avoir écouté, il m’a conseillé un livre que tout le monde lisait dans le Silicon Valley et qui a changé ma vie. Lean Start up de Eric Ries.


Wiwashimara, c’est avant tout une aventure, un pari et une première brique.

C’est un livre que je conseille aux entrepreneurs, chefs d’entreprise, présidents d’association, élus politiques, maîtres-nageurs, éleveurs de crabes, tout le monde. L’auteur part du principe, du bon sens, qu’il ne faut pas voir grand tout de suite et qu’il faut toujours s’assurer que le produit, l’idée que l’on a, ne répond pas uniquement à un besoin personnel, mais à une problématique commune. Ce livre m’a permis d’accepter, mais surtout de comprendre mon échec. Je riais à chaque page, en songeant à mes erreurs. Je me suis intéressé à cette philosophie et au web en général. J’ai commencé à lire un tas de livres, rencontrer des gens et tenter de sortir de ma zone de confort. C’est là que j’ai décidé de faire un master dans le digital et que j’ai occupé le poste de manager marketing d’une start-up. Et un dimanche, en regardant la télévision, je suis tombé sur un reportage montrant les nouveaux types d’habitats écologiques. Et c’est là qu’apparaît la bulle transparente. En écoutant la présentation, j’ai eu la conviction que ce produit avait sa place dans le paysage touristique guadeloupéen.



Un hébergement insolite dans lequel on peut dormir à la belle étoile toute l’année. Deux ans plus tard, je m’installais en Guadeloupe et je décidais avec mes associés de lancer Wiwashimara qui signifie « étoiles filantes » en taïnos. Nous sommes partis du simple constat que le tourisme avait évolué. Ce n’est plus uniquement celui des familles qui vont à l’hôtel ou dans un seul hébergement durant leur séjour. Le touriste type est en couple, assez curieux, désireux de bons plans et surtout nomade. La Guadeloupe possède un énorme potentiel en matière de tourisme vert et nous étions convaincus de la pertinence de notre offre. Nous avons eu la chance d’avoir l’adhésion du public dès le lancement du produit. En apportant un plus que ce soit en matière de communication ou de service, nous avons pu remplir notre calendrier de réservation et dépasser nos estimations. Nous avons aussi été soutenus par la région Guadeloupe dans le cadre du financement d’un système photovoltaïque nous permettant d’atteindre une autonomie en énergie de 80 %. Cela fait partie de nos engagements.


En réalité, on se sent souvent très seul. Vous vous posez sans arrêt des questions. Est-ce que cela vaut le coup ? Qu’est-ce que cela va donner ? Vais-je m’en sortir financièrement ?

Wiwashimara, c’est avant tout une aventure, un pari et une première brique. Aujourd’hui, nous traversons quelques difficultés suite à l’incendie de la villa dont nous sommes partenaires. Nous avons perdu ce point de rattachement essentiel. Un malheur n’arrivant jamais seul, nous avons subi des vols, notamment d’une bulle et d’un jacuzzi puis le passage de l'ouragan Maria. Le site est actuellement fermé et nous faisons le nécessaire pour pouvoir rouvrir rapidement. Ce n’est pas facile surtout après juste un an d’activité, mais je pense que cela fait partie d’un passage obligé. Quand je pense aux entrepreneurs saint-martinois qui ont absolument tout perdu, je me dis qu’il y a pire et qu’il faut relativiser.


La réalité


Les difficultés font partie du quotidien. Dès l’instant où j’ai expliqué à mes proches que j’allais lancer ma société, je me suis heurté à des réticences, des discours plutôt alarmistes sur la réalité du monde actuel, etc. C’est pour moi le premier frein que l’on rencontre. Aujourd’hui, je n’en parle plus, je fais et je raconte après. Ensuite, il a fallu monter des dossiers, trouver un financement, un partenaire, des artisans et prestataires sérieux. Je me suis souvent heurté à l’administration. Je me souviens d’une responsable d’admission de candidatures me disant qu’il fallait attendre quatre mois pour que mon dossier soit examiné, car les membres de la commission allaient partir en vacances. Elle ne comprenait pas pourquoi j’étais si pressé dans ma démarche… Bref !


La culture française associée à l’insularité nous a rendus procéduriers, autocentrés et frileux. Nous avons tendance à chercher les aides de l’État avant de définir notre projet.

En réalité, on se sent souvent très seul. Vous vous posez sans arrêt des questions. Est-ce que cela vaut le coup ? Qu’est-ce que cela va donner ? Vais-je m’en sortir financièrement ? Les difficultés sont innombrables, mais je pense que l’on peut les surmonter ou mieux les appréhender en se préparant. C’est-à-dire de bien penser son projet en sachant écouter les critiques, poser des questions, tester son idée auprès de ses futurs clients, bien s’entourer, mettre son niveau de vie en adéquation avec sa réalité financière, être à l’écoute des innovations, se remettre en question et bien sûr s’arrêter si le projet n’est plus viable. Je n’en suis qu’au début de mon aventure, je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais j’ai appris avec le temps à prendre chaque problème l’un après l’autre. Une chose est sûre, il ne faut surtout pas avoir peur d’en parler à d’autres et de s’entourer de gens plus intelligents et expérimentés que soi, qui eux pourront vous guider. Je m’y attelle.



Sa vision de l’entrepreneuriat


Elle est vaste, car l’entrepreneur est à la fois celui qui possède une roulotte ou celle qui a un site e-commerce. Mais je vais tenter d’y répondre, de donner un avis fondé sur l’expérience que j’ai pu avoir ici et là. Je fais partie de l’équipe du Spot, qui est un espace de coworking accueillant les free-lances et entrepreneurs de Guadeloupe et d’ailleurs. J’ai l’occasion de croiser au quotidien des porteurs de projet géniaux, donc oui nous sommes aussi une terre d’entrepreneurs. Mais je pense qu’il faut revoir notre façon de penser.


La culture française associée à l’insularité nous a rendus procéduriers, autocentrés et frileux. Nous avons tendance à chercher les aides de l’État avant de définir notre projet. Si l’idée n’est pas bonne, j’aurai beau recevoir cent mille euros, je ne réussirai pas pour autant. Nous devrions apprendre à penser nos projets en tenant compte des problématiques réelles et ne pas nous contenter de copier une idée ayant fonctionné à Londres ou à Dubaï. Nous devrions tenter de lancer des projets complémentaires afin d’aboutir à un écosystème large et viable et ne pas systématiquement nous engouffrer sur un créneau dit à la mode, une tendance.


Je pense que nous ne sommes pas assez conscients de la chance que nous avons. Nous sommes sur le même fuseau horaire que les États-Unis ; nous sommes français et européens ; nous disposons d’infrastructures de qualité. Nous avons la fibre ; notre TVA est avantageuse ; la majorité de notre population a un smartphone et sait s’en servir. Nous avons un pouvoir d’achat plus important que nos voisins pour ne citer que cela. Mais qu’en faisons-nous concrètement ?


Ce sont les entrepreneurs d’un pays qui dictent la cadence, ouvrent des brèches et l’État, la Région, appuient et non l’inverse. L’île de la Réunion, dans son dynamisme et l’ambition de son écosystème entrepreneurial, est un très bel exemple.

J’ai eu la chance de me rendre au Haïti Tech Summit il y a quelques années. Nous avons formé un groupe de Guadeloupéens et Martiniquais et nous sommes partis à l’aventure, nous n’étions pas plus de six. Nous avons reçu une leçon. Voir un pays aussi désavantagé qu’Haïti porter autant de projets innovants, créer des passerelles avec sa diaspora, être en avance sur bien des sujets et susciter l’attention de fonds d’investissement faisant autorité dans la Silicon Valley nous a véritablement marqué. La couverture totale de l’île en électricité est un enjeu majeur, encore, en 2017, et pourtant, les entrepreneurs haïtiens ne cessent d’innover. Nous devons sortir de notre zone de confort et penser nos projets à l’échelle caribéenne, européenne, voire américaine.


Ce sont les entrepreneurs d’un pays qui dictent la cadence, ouvrent des brèches et l’État, la Région, appuient et non l’inverse. L’île de la Réunion, dans son dynamisme et l’ambition de son écosystème entrepreneurial, est un très bel exemple. Il y a énormément d’opportunités. La Caraïbe est de plus en plus attrayante aux yeux des géants, c’est à nous d’aller chercher notre part du gâteau et nous en avons les moyens.



La suite


Les récents événements ont été difficiles à surmonter, mais heureusement la situation s’améliore. Durant cette période, nous avons pu prendre du recul et imaginer le futur de Wiwashimara et de nombreuses idées ont germé. Aujourd’hui, nous faisons des bulles, demain qui sait ? Notre site principal est à Trois-Rivières, mais nous sommes déjà en pourparlers pour d’autres installations. À titre personnel, j’ai d’autres projets en cours. J’en parlerai dans la prochaine interview que L’Incubateur m’accordera. J’ai pris goût au shooting (sourire). Au passage, un grand merci et bravo à toute l’équipe, j’ai passé un moment formidable.


Plus on prend le temps de tester son idée, son produit sur des amis et des inconnus, et plus l’on réduit le risque. Et même dans ce cas, on saura en déterminer la cause.

L’échec fait partie du cycle d’apprentissage. Si vous échouez face à un problème nouveau, c’est normal et formateur. Si vous échouez, car vous avez refait la même erreur, cela est en effet problématique. Mieux on sait tirer de leçons, mieux on est armé. Exemple, il ne faut pas confondre une passion et un business potentiel. Il ne faut pas non plus investir toutes ses économies sur une intuition que l’on a eue à 6 h du matin. Plus on prend le temps de tester son idée, son produit sur des amis et des inconnus, et plus l’on réduit le risque. Et même dans ce cas, on saura en déterminer la cause. « Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » W. Churchill.

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