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Vaudou, marronnage de la Foi

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste

Photo : Troi Anderson

 



Sur la plantation, deux armes ont massivement servi au projet de domination coloniale et d’assujettissement des pièces de bois d’ébène : la christianisation et le Code Noir.



La régulation des esprits chagrins du Péyi Ginen est exécutée par la première, tandis que la seconde aura configuré les rapports entre les corps, blancs, noirs et métis. Le Code Noir définira, donc, la réglementation du traitement physique, spirituel et commercial des esclavagisés. Ce fut le destin de tou.te.s les Africain.e.s déporté.e.s dans les plantations des Amériques.


Le Vaudou est invariablement la force qui a permis la victoire des Haïtiens face aux colons, aux oppresseurs et tyrans...

Des nègres faits curés, dits « curés des Nègres », furent chargés explicitement de prêcher aux esclaves la soumission aux maîtres blancs et de l’ordre voulu par leur Dieu. Par ailleurs, le Code Noir de mars 1685 (édit du Roi sur les esclaves des îles de l’Amérique) indique à l’article 2 : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans la huitaine au plus tard, tous les gouverneurs et intendants des îles sous peine d’amende arbitraire, lesquels donnent les ordres nécessaires pour les instruire et les baptiser dans le temps convenable » et poursuit à l’article 3 : « Interdisons tout exercice public d’autres religions que la religion catholique, apostolique et romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses ». En d’autres termes, cet édit du Roi condamnait tout esclave pratiquant le vaudou, celui-ci étant désigné comme crime méritant châtiment corporel. Pratiquer le vaudou était considéré à la fois comme une atteinte à la sûreté de la colonie puisque les rassemblements seraient conventicules (référence aux réunions secrètes où l’on complote) et une contravention à l’observance du catholicisme tenu pour universel. Voici l’une des bases de la marginalisation et de la criminalisation du vaudou.



© Leah Gordon.


Né dans le creuset de l’adversité, il est par essence la force du peuple, qui a transcendé par syncrétisme l’assimilation religieuse, qui a toujours trouvé les ressorts de sa résilience dans cet animisme qui les lie à une nature et des écosystèmes en déséquilibre, qui les bousculent, mais les rend plus forts.

Aujourd’hui, sous bien des latitudes, le Vaudou est considéré comme damnation ou chemin vers ce sort. Les représentations stéréotypiques – sorcellerie, sortilèges, ensorcellement, zombification, sacrifices, etc. – qui lui sont durablement accolées sont en partie le résultat des productions cinématographiques, elles-mêmes sans doute inspirées des pseudo recherches anthropologiques biaisées par les suprématismes originels des colons. Pourtant, le sociologue et théologien Laënnec Hurbon, d’écrire : « Toute transformation de la société haïtienne doit compter en effet et avec le Christianisme et avec le Vaudou ». Il écrit ceci dans « Dieu dans le Vaudou haïtien » (2002). Et en effet, il faut considérer que le Vaudou est larvé par le christianisme et non le contraire, comme le titre de son ouvrage l’indique.



Hero Vodou in Haïti - © Leah Gordon.

© Troi Anderson.


Quelques bases sociologiques en contexte haïtien : comme toute formation nationale, la population est bigarrée de ses contrastes et strates, indépendamment des philosophies et régimes politiques de celles-ci. Classes sociales et ethnicités sont les principaux critères de distinction sociale. Tout comme la Guadeloupe, Haïti est faite de contrastes carrefours : classes et appartenance ethnico-raciales sont toujours croisées, et le paysage sociolinguistique met en opposition diglossique la/les langue.s dominante.s et les distinctions socio-géographiques sur leur territoire. Bien qu’Haïti ait conquis son indépendance, les marques des colons ont perduré à travers les siècles : francophonie. En Haïti existent deux pays : la capitale ou les villes de province versus les mornes, ou encore le Péyi andewó (préservation d’une ancestralité africaine, mariage coutumier ou plasaj, créole, vaudou) et le péyi andedan (Mariage chrétien, français, francophilie ou anglophilie, chrétienté catholique ou protestante).





L’indépendance acquise, ce n’est pas un modèle africain ou à base africaine qui est établi, mais bien une mimesis du modèle français, pris dès lors comme étalon identitaire : langue de prestige, formes gouvernementales (période Pétion/Christophe par exemple). Hurbon souligne encore qu’« au cours du développement de la vie civilisée beaucoup d’anciennes manières, coutumes, observances et cérémonies des temps passés ont été rejetées par les couches supérieures de la société et sont graduellement devenues les superstitions et les traditions des basses classes » (Jean Price-Mars, Ainsi parla l’oncle, p.49-50). Subsiste pour autant le Vaudou, puissant dans les lieux retirés. Les communautés des mornes seraient descendantes des communautés marronnes constituées pendant la période de l’esclavagisation, lorsque les Bossales (Africains fraîchement débarqués et non brisés par le système plantationnaire, non créolisés) parvenaient à s’enfuir et à trouver refuge dans les mornes, les forêts. C’est en ces lieux qu’ils refonderont leurs croyances avec, entre autres apports, les connaissances des plantes héritées des Amérindiens.


Le Vaudou est la chéloïde syncrétique des heurts civilisationnels entre les colons et les esclavagisé.e.s.


Le marronnage est l’incubateur du Vaudou, lui-même berceau de l’indépendance. Deux révoltes ont édifié les premiers mythes fondateurs du peuple haïtien en faisant le lit de la conviction des esclavagisés en marronnage. Ils y trouvèrent la foi nécessaire à s’unir contre leur oppresseur. Haïti devient indépendante en 1804 grâce à Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines. Mais les précurseurs de la révolution qui provoquèrent l’étincelle sont : d’abord, Makandal un esclave bossale originaire de Guinée qui en 1757, prit la tête d’une bande de marrons, et en faisant du vaudou une force prophétique, conduisit les Esclaves à exterminer les Blancs par l’empoisonnement. Capturé au cours d’une cérémonie vaudou, Makandal sera brûlé vif. Mais les marrons le vénéreront tel le prophète qu’il fut pour l’émancipation (d’ailleurs, dans la colonie, tous poisons, sortilèges et maléfices, fabriqués par les Noirs, furent appelés « des makandals ») ; ensuite, Dutty Boukman, né libre en Sénégambie, puis esclavagisé d’abord en Jamaïque puis en Haïti, présida une cérémonie Vaudou dans le Bois Caïman en 1791, par un pacte de sang avec les esclavagisés en révolte pour mener une guerre pour l’extermination des Blancs. Ainsi naquit la fronde marronne conclue par la Guerre de l’Indépendance et à la libération du peuple haïtien.



© Troi Anderson.


© Troi Anderson.


© Troi Anderson.



Le Vaudou est la chéloïde syncrétique des heurts civilisationnels entre les colons et les esclavagisé.e.s. Il est consubstantiel de l’histoire de l’esprit du peuple haïtien, où les croyances ancestrales se sont consolidées à travers un rapport analogique avec la religion universalisante des maîtres : à chaque saint chrétien correspond un loa, un esprit vaudou. Ce syncrétisme se révèle dans les prières des prêtes savann qui bénissent les cérémonies et délivrent des « homélies » métissant le créole au latin et aux langues africaines.





Né dans le creuset de l’adversité, il est par essence la force du peuple, qui a transcendé par syncrétisme l’assimilation religieuse, qui a toujours trouvé les ressorts de sa résilience dans cet animisme qui les lie à une nature et des écosystèmes en déséquilibre, qui les bousculent, mais les rend plus forts. Laënnec Hurbon écrit dans Dieu dans le Vaudou haïtien que : « le vaudou est apparu très tôt pour les esclaves comme leur langage propre, comme leur lieu conscient de différentiation d’avec les Maîtres Blancs et comme la force qui décuplera leur capacité de combat ». Qui honnit le Vaudou porte l’empreinte de l’esclavagisation et du brainwashing qui l’a permis, et se fait l’épitomé d’une méconnaissance de l’histoire des Caraïbes. Le Vaudou est invariablement la force qui a permis la victoire des Haïtiens face aux colons, aux oppresseurs et tyrans, même quand ces derniers ont tenté maintes fois d’enterrer ces croyances et pratiques (prêtres catholiques haïtiens et missionnaires canadiens ou étatsuniens), de les utiliser pour manipuler le peuple à des fins de subjugation (Papa Doc). A contrario, avec l’indigénisme, résistance à l’occupation US, on revalorise les racines africaines à travers le vaudou et le créole. Le Vaudou est le marronnage intérieur, où se cache l’africanité non dans les mornes, mais dans le cœur, l’âme et les prières. Vaudou, marronnage premier.

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