Par Ken Joseph
Photo : Matthew Reyes
Janvier 2014, Stevy Mahy, auteur, compositeur et interprète, décide de se lancer dans l’autoproduction. Et pour financer l'enregistrement de son nouvel album Renaissance Woman, elle se tourne vers la plateforme de financement participatif KissKissBankBank – récemment rachetée par la Banque Postale. Carton plein, 148 donateurs ont misé entre 10 et 500 euros : elle avait comme objectif initial 5 000 euros et a finalement récolté la somme de 7 130 euros. Stevy Mahy fut l’une des premières en Guadeloupe à réussir ce pari fou. Mais depuis, d’autres lui ont emboîté le pas tel que Lena Blou, professeur de danse, qui récolta 12 860 euros pour un objectif de 8 000 euros via la plateforme de mécénat participatif commeon.com, pour l’aménagement de sa nouvelle école de danse CDEC. Récemment, la Start-up An sav fè sa a recueilli 14 467 euros sur la plateforme ulule.com. Yannick Jotham et Alicia Hadjard, les cofondateurs d'An sav fé sa, ont ainsi dépassé leur objectif initial de 13 000 euros. Leur idée d’application de covoiturage et de chauffeurs privés, Carter, a su conquérir un large public et pas seulement de geek. Mais il ne faut pas se leurrer, tout ne tombe pas du ciel… Il ne suffit pas de créer sa page sur une plateforme et penser que des inconnus vous donneront de l’argent. Dans les faits c’est beaucoup plus compliqué.
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En vérité, il s’agit d’un vrai travail de séduction. Une campagne de levée de fonds dure en moyenne 8 semaines, soit 56 jours d’espoir, de stress, de déception, où tout se joue… Dans les règles, elle peut durer plus longtemps, mais vaut mieux qu’elle soit courte et bien rythmée. D’autant que c’est un – vrai – travail à plein-temps pour le porteur de projet qui se révèle épuisant. On y gagne à être bien organisé. Encore faut-il bien choisir sa plateforme en ligne et connaître les ressorts de la communication spécifique à ce mode de financement. Il faut aussi pouvoir choisir en connaissance de cause le mode de financement le plus adapté à l’entreprise en gestation : don contre don ? Crowdlending ou equity ? Et si de nombreuses plateformes offrent la possibilité de lancer une campagne de crowdfunding, toutes ne se valent pas. Et il convient de choisir prudemment celle qui est la plus adaptée à votre projet en usant des critères suivants : les types de financement proposés, le taux de succès de la plateforme et l’audience de la plateforme. Le choix du type de financement est un critère de sélection naturelle. En fonction du type de financement souhaité, vous pourrez donc éliminer facilement une partie des plateformes.
Le crowdfunding, c’est en effet bien plus qu’une affaire d’argent. Il installe le (futur) client au cœur d’un marketing a priori fondé sur une co-construction du produit ou du service, le fameux « test and learn », cher aux start-ups.
Aussi, plutôt que d’analyser le taux de succès de la plateforme, il est recommandé d’affiner votre analyse en prenant en compte des projets similaires au vôtre, en termes de secteur et de taille de financement. D’autre part, l’audience de la plateforme est un critère à ne pas négliger. Ainsi, il est important d’analyser l’audience sur deux axes : le nombre de contributeurs actifs sur la plateforme, le nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux.
Le lancement d’une campagne de crowdfunding est clairement un moment crucial, car il donne la tendance. Ainsi, il est important de bien choisir la période la plus propice pour la lancer. Le mois d’août n’est pas conseillé, ni la période allant du 10 décembre au 5 janvier. Seul cas où la saison des fêtes de fin d’année peut être recommandée : pour les projets ayant un fort lien avec les cadeaux ou la thématique de Noël. Concernant les jours, le lundi et vendredi seraient de bon moment.
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Regardez également quand il y a des pics de connexion sur les réseaux sociaux dans votre domaine, mais évitez les périodes où toute l’actualité est dominée par un thème, par exemple une catastrophe naturelle, une élection électorale, Coupe du monde… Il est également très important de demander un montant réaliste et en ligne avec vos besoins. On peut également tenter de savoir quels montants ont le plus de chance de réussir. Ainsi Kickstarter annonce que « la plupart des projets qui aboutissent ont un objectif inférieur à 10 000 dollars, mais de plus en plus de créateurs atteignent des objectifs à six, voire sept chiffres. » La plupart des plateformes ont un système de « tout ou rien ». Autrement dit, si vous n’arrivez pas au montant désiré, vous ne recevrez rien. Et en général, une fois la collecte lancée, vous ne pourrez pas modifier le montant ni la durée de la campagne. Il vaut mieux donc bien déterminer le montant demandé.
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Dès que votre campagne est en ligne, faites le plus de bruit possible : dans vos rencontres, sur les réseaux sociaux ou encore par mailing. Si vous obtenez 20 à 30 % de la cible dès la première semaine, il y a de bonnes chances pour que la campagne aboutisse. Certaines plateformes de crowdfunding avec contrepartie ont d’ailleurs des algorithmes qui permettent de mettre en avant les projets qui démarrent bien, accentuant ainsi leurs chances de succès. Soignez donc particulièrement les premiers jours. Ce qui ne signifie pas que vous pourrez partir en vacances pendant le reste de la campagne. Vous devrez rester très actif pour maintenir l’intérêt et pousser la foule à poursuivre ses contributions. Sans effort de communication de votre part, la campagne est vouée à l’échec, quelle que soit la valeur du produit ou du concept. Réussir sa campagne de crowdfunding passe d’abord par une excellente préparation, notamment en matière de communication.
Proposant un écosystème intégré, reliant le financier et la communication, le crowdfunding semble être l’outil le plus adéquat pour amorcer le développement d’une entreprise à l’ère du web 2.0.
Il faut réfléchir aux cibles, déterminer le type de message, peaufiner son « storytelling », tourner une vidéo. Ce dernier élément augmente fortement les chances de réussite, au point que certaines plateformes ne mettent jamais en ligne de projet sans un tel support visuel. Les vidéos doivent donner envie, montrer que le projet est crédible, et être courtes : 2 ou 3 minutes au maximum. Il est également primordial de soigner sa présence sur les réseaux sociaux. Il faut donc avoir en amont un réseau et des relais d’influence qui vont liker, twitter et partager. S’ils sont indispensables à la réussite, les médias sociaux sont insuffisants. Les contacts personnels restent fondamentaux. Il faut aller à la rencontre des gens, envoyer une multitude d’e-mails, créer des événements. Sans compter que des personnes plus âgées ne sont pas forcément actives sur les réseaux sociaux. Le contact personnel est encore plus important lorsque l'aspect local est mis en avant et quand les sommes en jeu sont conséquentes.
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La contrepartie est très importante
Le « reward » est l’élément qui pourra déclencher le don. Il permet en outre de rapprocher, de créer une communauté, de faire connaître le produit. Pour le crowdlending aussi, la contrepartie joue un rôle non négligeable. En plus des revenus d’intérêt perçus, l’investisseur obtient souvent un avantage en nature. Celui-ci est également utile pour l’entreprise qui peut en profiter pour élargir le cercle de ses clients. C’est le cas du salon de thé qui offre une boisson gratuite par jour pour deux personnes : le contributeur viendra avec des amis, qui amèneront ensuite des connaissances et ainsi de suite. Il s’agit donc d’un outil de communication et d’acquisition de clientèle, pouvant créer des communautés robustes.
Quelle contrepartie choisir ?
De manière plus générale, les gens sont attirés par le fait d’obtenir le produit avec un rabais et dans le cas de la technologie de l’avoir avant les autres. Sinon, tous les spécialistes conseillent l’originalité, le rêve. « Proposez à vos contributeurs quelque chose qu’ils ne pourront trouver nulle part ailleurs. De l’émotion et des souvenirs inédits », incite la plateforme KissKissBankBank. Proposez six à huit contreparties à différents prix, de manière à ce qu’il y en ait pour toutes les bourses. Pensez à compter les frais de fabrication et d’envoi dans vos prévisions financières. Et n’oubliez pas que si la campagne fonctionne mieux que prévu, vous aurez plus de contreparties à livrer.
Et le coût ?
Les frais diffèrent d’une plateforme à une autre, en fonction du type de crowdfunding, mais aussi de l’implication de la plateforme (offrent-elles juste un espace sur leur site ou apportent-elles un accompagnement étroit ?). En général, les plateformes prennent une commission qui varie entre 3 et 10 % des montants levés (commission + frais de transaction), et ce uniquement si la campagne est réussie. Une fois votre campagne terminée, occupez-vous de votre nouvelle communauté : remerciez vos contributeurs, tenez-les au courant et envoyez-leur les éventuelles contreparties aussi vite que possible, car ce sont les meilleurs ambassadeurs de votre projet auprès du monde extérieur.
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Bien plus qu’une affaire d’argent
Le crowdfunding, c’est en effet bien plus qu’une affaire d’argent. Il installe le (futur) client au cœur d’un marketing a priori fondé sur une co-construction du produit ou du service, le fameux « test and learn », cher aux start-ups. Il donne au consommateur un pouvoir inédit, qui n’a rien à envier à celui de l’actionnaire. Ce que cherche la « foule » des fans, ce n’est pas forcément un gain, mais à disposer d’un produit en avant-première et à exercer un pouvoir d’influence. Influence sur le produit, qu’elle veut à sa mesure, sur l’entreprise, sa réputation et au sein de la communauté des soutiens.
On peut ainsi considérer que le crowdfunding représente aujourd’hui l’une des meilleures études de marché possible, car le projet est testé directement auprès des backers.
Si la campagne de financement participatif est réussie, l’entreprise combine tous les avantages. Elle valide l’existence de son marché avant même d’avoir lancé son produit. Elle dispose de l’argent nécessaire au développement de son projet. Elle recrute à peu de frais des « bêta-testeurs » impliqués aux différents stades de la conception. Elle construit une communauté d’ambassadeurs motivés. Elle réduit les coûts d’acquisition de ses clients. Un rêve de marketeur…
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Le crowdfunding ne concerne aujourd’hui que les start-ups, les écrivains, les chanteurs, les cinéastes, et même les médias… Mais la nouvelle relation client qu’il instaure entre le producteur et le consommateur est en train d’infuser les entreprises traditionnelles, qui cherchent, elles aussi, à faire participer leurs clients à l’amélioration de leurs produits, en attendant de les associer à leur fabrication. On peut ainsi considérer que le crowdfunding représente aujourd’hui l’une des meilleures études de marché possible, car le projet est testé directement auprès des backers. Si ce dernier ne rencontre aucun succès, c’est un signal faible qui doit être grandement pris en compte. Et, quelle qu’en soit la raison (objectif surdimensionné, manque d’animation ou concept bancal…), le porteur de projet peut revenir avec un dossier amélioré quelques mois plus tard. Le deuxième essai sera peut-être le bon.
Qu’on se le dise, le crowdfunding, ou financement participatif, est bien plus qu’un phénomène. Il s’avère, au contraire, être une tendance de long terme qui n’est qu’à ses balbutiements. Subrepticement, le crowdfunding s’invite dans bon nombre de discussions et éveille un intérêt certain parmi les acteurs d’univers divers tels que la création artistique, l’investissement privé ou encore l’entrepreneuriat. Et si la dimension disruptive du crowdfunding n’apparaît pas comme fondamentale, puisque cette pratique n’a pas vocation à concurrencer des acteurs traditionnels, il n’en demeure pas moins que passer par de telles plateformes peut s’avérer être l’une des meilleures stratégies de développement.
Proposant un écosystème intégré, reliant le financier et la communication, le crowdfunding semble être l’outil le plus adéquat pour amorcer le développement d’une entreprise à l’ère du web 2.0.
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