Propos recueillis par Ken Joseph
Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin
Mais qui sont ces femmes qui ont franchi le pas de l’entrepreneuriat et qui déjouent tout préjugé sexiste ? Quels rêves les ont transporté ? Rencontre d'une entrepreneure qui creuse son sillon et multiplie les territoires d’exploitation avec une exigence et une indépendance d’esprit qui nous épatent.
Quel a été le plus difficile pour vous dans votre parcours ?
Tout au long de mon parcours, j’ai eu à rencontrer des difficultés. Le plus difficile a sûrement été le sacrifice financier. En effet, mes diplômes et compétences me permettent de travailler n’importe où et de bien gagner ma vie. Pour autant, je ne regrette rien, car l’enrichissement personnel, les rencontres, la maturité que j’ai acquise en peu de temps, le sens et la conviction que je porte à travers mes projets et surtout le fait de réussir à surmonter ces difficultés valent beaucoup plus à mes yeux.
Pensez-vous que les femmes soient suffisamment représentées dans le monde entrepreneurial ?
Non. Bien que cela soit en nette progression, selon moi, encore, quelques femmes se concentrent sur une vie rangée « boulot-famille » et peuvent percevoir l’entrepreneuriat comme une charge supplémentaire. À mon avis, une femme est déjà entrepreneure quand elle arrive à gérer sa vie classique et que d’être son propre patron ou de créer un produit, ou une activité est juste une organisation différente.
Je suis une "serial entrepreneur". J’aime créer, inventer, trouver des solutions. Ce que j’aime encore plus, c’est de disrupter : faire les choses à l’opposer des codes actuels qui méritent d’être bousculés.
D’autre part, certains experts expliquent la sous-représentation des femmes dans l’entrepreneuriat parce qu’elles sont supposées être : des êtres allergiques aux risques, manquant de confiance et mal à l’aise avec la réussite personnelle ou économique. Que pensez-vous de ces avis ?
Nous prenons des risques tout le temps, on ne s’en rend même pas compte. Pour la confiance, je ne pense pas que cela soit en lien direct avec l’entrepreneuriat : des femmes très timides, pas forcément confiantes arrivent à mettre en place des business et à très bien les gérer. C’est vrai que le développement personnel aide et booste, mais avec ou sans cela n’empêche pas d’entreprendre. Je distingue l’entrepreneur du chef d’entreprise. Une présidente d’association par exemple est aussi une entrepreneure. Elle peut atteindre ses objectifs de réussite personnelle et économique en se challengeant.
Comment pourrait-on soutenir davantage la création d’entreprises à l'égard des femmes ?
Il y a des initiatives qui se sont mises en place ailleurs. À mon avis, il faut deux choses : dupliquer en conceptualisant et fonctionner en réseau. Progressivement, je veux croire que les mentalités évolueront, nous sommes au cœur d’une petite révolution du rapport au travail et de plus en plus de personnes deviennent indépendantes, sauf que cela en fait beaucoup et que notre marché n’est pas extensible, alors il serait intéressant de travailler ensemble. J’ai bon espoir.
Avez-vous déjà vécu une situation dans laquelle on vous a fait comprendre que femme et entrepreneuriat étaient deux notions peu compatibles ?
Personnellement, non. Ou plutôt, je ne l’ai jamais ressenti comme tel puisque je pense ne même pas donner cette chance à quelqu’un de me dire une telle chose. J’ai plutôt en mémoire une remarque qui m’a simplement fait sourire « petit bout de femme qui ne paie pas cher, mais qui en a dedans (cerveau) » et « ah oui, tu es maman, je n’aurais jamais cru, je te vois bien active ». Je ne comprends pas forcément le parallèle, mais bon.
J’ai eu l’idée de Pawoka à partir d’une expérience personnelle, un besoin puis un constat. C’est ensuite devenu un défi, un projet, une réalité et maintenant un concept de vie.
Que veut dire être une femme libre, selon vous, aujourd'hui ?
La liberté… c’est un mot abstrait et en même temps mon objectif. À mon avis, une femme libre c’est une femme qui a le choix. Une femme qui « fait son choix de vie » est libre autant que la femme au foyer, celle qui fait l’école à la maison, la businesswoman ou la digitale nomade qui voyage aux quatre coins du monde.
À quel moment de votre vie vous êtes-vous sentie le plus libre ? Et le moins libre ?
Aujourd’hui, je me sens libre. Je me sens moins libre quand je me sens contrainte, prise au piège ou quand je ne me sens pas en accord avec moi-même, donc frustrée. On a toujours le choix, même quand on n’est pas le centre de la décision, de l’action, du sacrifice, etc.
D'où puisez-vous votre force ?
Je puise ma force en moi-même, mais aussi dans ma famille et mon environnement. Comme une plante. Les gens qui m’inspirent : Pierre Rabhi et localement Lucien Degras, Marie Gustave et Henry Joseph que j’ai la chance d’avoir comme mentor. Mais aussi toutes ces personnes passionnées qui ont l’audace de penser le monde de demain, font leur part comme des milliers de colibris (bientôt des millions) et agissent sans profiter ou tromper les autres.
Je pense que l’entrepreneuriat en Guadeloupe est mal structuré. Comme d’habitude, nous sommes à la traîne. Or nous avons tout ici pour être des modèles.
Selon vous, comment le digital transforme-t-il la place des femmes ? Peut-il jouer un rôle dans la construction d’un monde plus égalitaire ?
Le digital offre de nouvelles opportunités qu’il est urgent de saisir. Je pense que oui, mais comme dans tout, il faut de la compétence et de la maîtrise pour anticiper le côté obscur. N’oublions pas que ce sont des humains qui ont créé tout cela. Il y a donc toujours une marge d’erreur.
L’entrepreneuriat au féminin semble être un marronnier sociétal. N’avez-vous pas le sentiment que tous vos efforts et vos victoires ne sont ramenés qu’à une épopée de genre ?
Personnellement, je ne le vis pas comme cela. Mais c’est vrai que l’être humain a toujours ce besoin de séparer, distinguer, différencier. Si cela booste et permet d’avancer, je ne suis pas contre.
Quel type d’entrepreneure êtes-vous ?
Je suis une serial entrepreneure. J’aime créer, inventer, trouver des solutions. Ce que j’aime encore plus, c’est disrupter : faire les choses à l’opposé des codes actuels qui méritent d’être bousculés. Je fais mon maximum pour être une entrepreneure toujours en accord avec mes valeurs et principes.
« Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir et de la magie ! » Goethe.
Votre projet professionnel a probablement bouleversé votre vie personnelle. Avez-vous été obligé de faire quelques concessions ?
Oui, beaucoup… mais je les qualifierai de choix. C’est carrément une aventure familiale, mais je veille à mettre une limite. Il est important de bien définir les choses et maintenir un équilibre.
Rachel, comment vous est venue l’idée de Pawoka ?
J’ai eu l’idée de Pawoka à partir d’une expérience personnelle, un besoin puis un constat. C’est ensuite devenu un défi, un projet, une réalité et maintenant un concept de vie. Il a été financé par mes fonds propres — j’y ai mis mes économies de job étudiante, mais surtout financé par de la compétence et de la solidarité. J’insiste sur cette partie, parce que tout n’est pas uniquement rattaché à de l’argent. Ma famille, mes amis, des rencontres, des collaborations, des échanges, c’est véritablement cette dynamique qui a donné vie à Pawoka. Et encore aujourd’hui. En pratique, Pawoka c’est : deux applications mobiles (une pour le public et une pour les professionnels de santé), qui permettent de rendre accessible l’information sur l’utilisation des plantes médicinales locales (Caraïbe) à tous. Mais aussi des formats complémentaires pour diffuser toujours plus, sensibiliser sur l’importance et la fragilité de cette ressource.
Quel constat faites-vous de l’entrepreneuriat en Guadeloupe ?
C’est mon avis personnel. Je pense que l’entrepreneuriat en Guadeloupe est mal structuré. Comme d’habitude, nous sommes à la traîne. Or nous avons tout ici pour être des modèles. Pour autant, je garde espoir, nous avons de plus en plus d’initiatives enrichies par des expériences de vie et de la compétence, mais aussi de l’ouverture d’esprit, donc cela bougera. On commence à le voir.
Et si c’était à refaire ?
Je ferais exactement pareil, c’est ce qui me définit et donc définit Pawoka.
Vous imaginiez-vous enfant, être là où vous êtes ?
Je pense que les enfants que nous avons été illustrent les adultes que nous sommes aujourd’hui. Donc indirectement oui. Petite, j’étais déjà dans les plantes médicinales, les sciences, les expériences, mais aussi la culture traditionnelle, l’ouverture au monde, le respect de l’autre, la tolérance. Je parlais facilement pour le groupe et ne supportais pas les injustices.
Un conseil pour nos lecteurs(rices) qui voudraient se lancer ?
« Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir et de la magie ! » Goethe.
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