Par Jean-Claude Barny réalisateur, acteur, scénariste
Photo : Dan Beleiu
On peut sortir le singe de la jungle, mais on ne peut pas sortir la jungle du singe. Pour bien comprendre le second degré de cette phrase, il faudrait déjà que nous soyons tous d’accord avec la « théorie de l’évolution » de Darwin selon laquelle l’homme descend du singe. Donc si nous descendons tous du singe, certains savants ont cependant maintenu, pendant des siècles, l’idée que nous n’avions pas tous suivi de la même manière cette évolution, en particulier l’homme noir. Cela a notamment permis de légitimer l’esclavage, mis en place dans le cadre du commerce triangulaire, pour répondre à l’exploitation économique du sucre. Rendre l’autre inférieur pour justifier sa mise en servitude, en lui déniant toute propension à l’émotion, au raisonnement, et cela avec la caution morale de l’Église.
Aujourd’hui, la banane peut apparaître comme le symbole de ceux qui n’ont pas admis, hélas, « que tous les hommes naissent libres et égaux en droit ».
L’humanité a traversé plus de 400 ans avec ce traumatisme : de part et d’autre, aussi bien chez l’homme blanc que chez l’homme noir. Ce qui m’amène à douter qu’aucune réconciliation collective ne puisse être sincère. Même si, bien sûr, il y a eu une loi reconnaissant la traite négrière, portée avec force et courage par Christiane Taubira. On ne peut rien imposer, juste proposer. Pour une majorité de Français, la question de l’esclavage et de ses héritages actuels, n’est sans doute qu’une affaire de « Noirs ». Autour de ce débat, beaucoup n’ont pas saisi l’opportunité de s’interroger sur le fait, qu’au sein d’une même nation, et depuis des lustres, des citoyens puissent avoir une couleur de peau différente.
Aujourd’hui, la banane peut apparaître comme le symbole de ceux qui n’ont pas admis, hélas, « que tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». Les stades de football furent les premiers à montrer du doigt la différence supposée de l’homme noir : cris de singes et jets de peaux de banane ont fait leur triste apparition dans nombre de stades européens. Et cela a parfois gangrené le milieu politique, en Italie, aujourd’hui en France, où des serviteurs de l’État, alors même qu’ils sont parfois élus par le peuple, se font vertement renvoyer à leur condition de primate.
Maurizio Cattelan's Comedian. © Rhona Wise/ EPA-EFE / Shutterstock
Certains de nos hommes d’État, occupant parfois pour certains d’illustres fonctions, ont d’un faible mouvement de lèvre manifesté leur désapprobation face à de tels agissements. On aurait aimé que le bruit fût le même que celui entendu lorsqu'au nom de la laïcité, de nombreuses voix se sont élevées parce qu’une femme voilée gardait de jeunes enfants. Tout ceci tient en un mot : discrimination, et la France, comme un serpent qui se faufile entre les branches en a fait sa racine. Le but est-il de rassurer les Français de « souche », qui n’arrivent plus à se projeter dans un monde qui change rapidement, où les mutations économiques se cognent avec la disparition des frontières ? Certains voient aussi l’immigration, et ne se gênent pas pour le dire ouvertement, comme une invasion de barbares. Cette déferlante de prolétaires sacrifiés par l’Europe des technocrates viendrait piller leur grenier déjà bien vide.
(…) il faut éduquer, replacer des Hommes noirs dans les hautes sphères, et surtout dans la jungle moderne : le petit écran. Oui, nous voulons des modèles, voir à travers notre miroir autre chose qu’un bouffon.
La cohérence semble de mise… On vide, des médias hertziens, des émissions de grande écoute, tout intellectuel ou chroniqueur noir qui pourrait avoir une pensée ou une réflexion. La stratégie est de toujours présenter l’homme de couleur comme incapable de participer à un débat politique ou économique. Il doit être encore et toujours perçu comme un être distrayant, au service de la Nation, en animant par exemple des émissions sportives où d’anciennes gloires mettent en avant leur expertise. Le racisme vient aussi de cette démonstration du noir, de cette exposition de non blancs dans les zoos, il n’y a pas si longtemps que cela, où comme des animaux on les nourrit de… banane.
© Jahi Chikwendiu
Alors, oui, il faut éduquer, replacer des Hommes noirs dans les hautes sphères, et surtout dans la jungle moderne : le petit écran. Oui, nous voulons des modèles, voir à travers notre miroir autre chose qu’un bouffon. Nous n’avons aucun contre-balancement : pas d’intellectuel noir, ou si peu, invité à des émissions de réflexion sociétale ou politique. C’est là que doit commencer l’éducation. Présenter une image différente, au travers des médias télévisés, de notre société pluriculturelle, imposer la présence de toutes les communautés, au moyen d’une loi s’il le faut, pour que la représentativité ne soit pas un vain mot. Voilà ce qui doit changer, pour ne plus glisser sur une peau de banane…
Comments