Par Ken Joseph
Photo : Cala Jzd
Loi fourre-tout ou probusiness ?
Si seulement 36 % (1) des dirigeants se déclarent satisfaits de l’action menée par Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Élysée, il se pourrait que les choses tendent à s’inverser au cours des prochains mois. Et pour cause, le 9 octobre dernier, le projet de loi Pacte, destiné à la croissance et la transformation des entreprises, a été adopté en première lecture, à l’Assemblée nationale. Porté par Bercy, ce texte « macroniste » n’est en fait qu’une énième étape relative à la transformation économique de la France, voulue par Emmanuel Macron. C’est un texte qui « est cohérent par rapport à ce qui a déjà été engagé par cette majorité : la transformation de la fiscalité sur le capital, la réforme du marché du travail, le soutien à une meilleure formation et une meilleure qualification, Pacte apporte une pierre nouvelle à cet édifice qui va permettre à chaque Français de vivre de son travail et à notre économie de se redresser », a assuré le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, à l’issue du vote en première lecture du Pacte.
Deux semaines de débats auront été nécessaires pour examiner ce projet de loi copieux : plus de 140 articles, après leur doublement en commission, allant de la suppression des seuils sociaux à l’encouragement de l’épargne salariale en passant par la réduction de six à quatre semaines de la durée légale des soldes. Lors d’une audition devant la commission parlementaire spéciale chargée d’examiner le texte, Bruno Le Maire a par ailleurs rejeté les critiques formulées contre son projet de loi, parfois qualifié de « texte fourre-tout ». « Nous sommes dans une économie complexe, et si nous voulons vraiment obtenir des résultats, il faut toucher à tous les leviers, l’investissement, le financement, les seuils, l’épargne salariale », a-t-il fait valoir. « La cohérence de notre texte, elle se trouve dans cette ambition économique : faire grandir nos entreprises, les moderniser, les consolider afin de leur donner les moyens de réussir dans la mondialisation », a-t-il ajouté.
« La loi Pacte va permettre aux entrepreneurs d'aller au bout de leur projet. » […] « Notre volonté est d'encourager la prise de risque, dans un cadre stable ».
Avec la loi Pacte, le gouvernement s’attaque, en effet, à un vaste chantier. Transformer les entreprises, simplifier leur financement, faciliter l’intéressement des salariés, repenser la place des entreprises dans la société, tels sont les principaux axes du « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ». Principale organisation patronale, le Medef a salué « des mesures positives », tout en demandant « à aller plus loin » et à « redonner une véritable cohérence à la politique économique du gouvernement ». Faisons un tour d’horizon des principales mesures du Pacte, qui visent à « donner aux entreprises les moyens de croître » et sûrement d’y croire.
Des seuils moins nombreux.
C'est l'une des mesures qui satisfait le plus le patronat : la suppression du seuil de 20 salariés et la conservation de trois seuils seulement, à 11, 50 et 250 salariés. De surcroît, les obligations liées à ces seuils ne seront désormais effectives uniquement lorsque le seuil sera franchi pendant cinq années consécutives. Cela laisse du temps à l’entreprise pour se développer, se préparer, et surtout d’éviter l’effet boomerang lié à une conjoncture qui se retourne. Enfin, le mode de calcul des effectifs prévu par le Code de la sécurité sociale sera généralisé.
Le forfait social sur l’intéressement supprimé.
Voici une mesure bâtie pour favoriser les salariés et annoncée dès le mois d’avril par Emmanuel Macron : le forfait social sur l’intéressement, qui peut peser jusqu’à 20 % des sommes distribuées par les entreprises aux salariés, sera supprimé dans les PME au 1er janvier 2019. L’objectif pour le gouvernement est de développer l’épargne salariale en incitant à la mise en place d’accords d’intéressements. Le forfait social sur la participation et l’abondement employeur sera également abandonné pour les entreprises de moins de 50 salariés. Ce qui changera concrètement : Leila dirige une entreprise employant 160 personnes. Elle réfléchit à mettre en place un accord d’intéressement qui conduirait à distribuer 120 000 € aux salariés. Aujourd’hui, elle devrait alors contribuer à hauteur de 24 000 € au titre du forfait social, soit un coût total de 144 000 €. Ce montant la dissuade de mettre en place un accord d’intéressement dans son entreprise. Avec le PACTE, le forfait social sera supprimé. L’accord d’intéressement ne lui coûtera plus que 120 000 €. Leila sera donc incitée à le mettre en place.
En remplacement des sept réseaux de centres de formalités des entreprises, le gouvernement va mettre en place une plateforme en ligne unique pour la création d’entreprise...
Des guichets à l’export régionaux mis en place.
Annoncé il y a plusieurs mois, un guichet unique de l’export sera créé dans chaque région et une plateforme numérique de solutions d’accompagnement sera mise en place pour mieux préparer les PME à l’international. D’autres mesures vont suivre : un renforcement du dispositif « assurance-prospection » par une avance de trésorerie et la création d’un « pass export » (partenariat négocié entre l’État et l’exportateur). Le dispositif du guichet unique régional est officiellement testé depuis le 18 juin en région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur.
© Sales navigator
Des entrepreneurs en difficulté mieux soutenus.
Le projet de loi prévoit la suppression de l’indicateur dirigeant de la Banque de France, diffusé aux établissements de crédit, en cas d’une « faillite en chaîne » (liquidation d’une filiale puis de la maison mère), la simplification de la liquidation judiciaire (obligatoire dès 5 salariés et 750 000 euros de chiffre d’affaires), et l’amélioration de la procédure de rétablissement professionnel : le seuil d’actif pourrait être rehaussé pour les entreprises sans salariés et une limite de passif ajoutée. Pour exemple, aujourd’hui, depuis 2 ans, Matthieu est en procédure de liquidation judiciaire, pour son entreprise employant 4 salariés et réalisant 400 000 € de chiffre d’affaires. Avec le Pacte, sa procédure de liquidation judiciaire simplifiée aurait été clôturée en 12 mois, 15 mois au maximum.
Une certification moins contraignante.
Malgré la fronde grandissante des commissaires aux comptes ces dernières semaines, le gouvernement a bel et bien inscrit dans le projet de loi Pacte que le « seuil de certification légale des comptes (serait) rehaussé au niveau européen ». Ce seuil d’audit des comptes devrait donc passer à 8 millions d’euros (contre 2 millions aujourd’hui).
© Ty Williams
La transmission d’entreprise facilitée.
Le gouvernement veut simplifier le Pacte Dutreil, ce régime de faveur permettant une exonération partielle de l’assiette des droits d’enregistrement lors d’une transmission à titre gratuit (donation ou décès) de titres sociaux, en assouplissant les conditions d’engagement et les obligations déclaratives pour en bénéficier. De plus, les contraintes du crédit d’impôt rachat des entreprises par les salariés seront assouplis et le dispositif de crédit-vendeur sera encouragé grâce à un étalement des prélèvements sur les plus-values pour les petites entreprises. Ce qui changera concrètement : aujourd’hui, Marc dirigeant d’une PME de 30 employés souhaite transmettre son entreprise à ses salariés. Seulement 6 d’entre eux désirent reprendre la société. Ce n’est pas suffisant pour disposer du crédit d’impôt. Avec le PACTE, les 6 salariés pourront avoir accès au crédit d’impôt et continueront à faire grandir l’entreprise.
La création d’entreprise dématérialisée.
En remplacement des sept réseaux de centres de formalités des entreprises, le gouvernement va mettre en place une plateforme en ligne unique pour la création d’entreprise. Les différents registres des entreprises (registres des métiers et du commerce et des sociétés) seront rapprochés pour éviter les doublons et les coûts inutiles. Le coût sera ramené de 1 000 à 250 euros et le délai d’un mois à une semaine.
La Française des jeux et le groupe ADP privatisés.
La loi Pacte va lever les contraintes légales qui obligent l’État à détenir la majorité des parts du groupe ADP (anciennement Aéroports de Paris), le tiers du capital ou des droits de vote d’Engie, et qui figent la détention publique de la Française des jeux (FDJ). L’exécutif se prépare ainsi à des cessions d’actifs dans ces trois entreprises. Pour ADP, l’État accordera une concession sur une période de soixante-dix ans, mais conservera « la propriété de tous les actifs, dont le foncier », explique le journal Les Echos. Le ministère assure toutefois que des garde-fous ont été prévus pour éviter que ces privatisations ne mettent en péril les intérêts de l’État. Le niveau des redevances aéroportuaires sera ainsi encadré, tandis qu’une « autorité indépendante » sera chargée de réguler le secteur des jeux. Ces cessions d’actifs devraient rapporter à l’État 15 milliards d’euros, qui alimenteront un fonds pour l’innovation et l’industrie créé par Emmanuel Macron. Selon Les Echos, les privatisations « ont aussi vocation à relancer l’actionnariat populaire, qui a fortement baissé en France depuis 2007 ».
© Mathieu Delord
Enfin, on notera que l’objet social de l’entreprise, c’est-à-dire la façon dont elle est définie dans le Code civil, va désormais prendre en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Une manière de satisfaire les tenants de l’écologie qui ne coûtera guère aux entrepreneurs puisque le ministre de l’Économie a promis que cette insertion ne créerait pas « d’insécurité juridique » et ne « pénaliserait pas les entreprises à l’international ». Si l'exécutif revendique un projet de loi ambitieux, son impact macroéconomique demeure très flou. Selon une évaluation du Trésor citée par le ministre, la loi Pacte pourrait générer "un gain d'un point de PIB supplémentaire sur le long terme : 0,32 point en 2025 et un point au-delà". L'opposition critique y voit un texte « fourre-tout » et « une occasion manquée ». Le principal point d'achoppement avec les oppositions est venu des privatisations d'ADP (ex-Aéroports de Paris) et de la Française des jeux.
Droite et gauche ont reproché au gouvernement de vouloir brader « les bijoux de famille ». Le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon a fustigé « une erreur de privatiser les derniers grands instruments dont dispose le pays », regrettant de « brancher le tissu des entreprises avec la planète finance ». Pour le socialiste Dominique Potier, c'est « une erreur de calcul et de stratégie à long terme ». Plus généralement, « vous avez fait beaucoup de mousse pour vanter une révolution à l'œuvre, c'est en réalité une révolution libérale », a dénoncé le communiste Pierre Dharréville. Daniel Fasquelle (LR) a pour sa part taclé « un texte insuffisant, incomplet et qui pourrait complexifier la vie des entreprises sur certains points », en souhaitant que le Sénat l'améliore.
« Notre volonté est d'encourager la prise de risque, dans un cadre stable »
Au-delà des mesures présentées précédemment, le projet de loi comporte 70 articles, inspirés des 980 propositions remises par les parlementaires et chefs d'entreprise chargés de réfléchir à l'avenir des entreprises françaises. Le plan d’action comportera également des dispositifs réglementaires et non réglementaires ainsi que des mesures fiscales qui seront intégrées au projet de loi finance 2019. Le texte arrivera au Sénat début 2019 et ne devrait pas entrer en vigueur avant le printemps. Certaines mesures vont toutefois être transposées dans la loi de finances et pourront être mises en œuvre dès le 1er janvier 2019, comme la suppression du forfait social pour les PME, la révision du pacte Dutreil pour les transmissions d'entreprises ou encore la révision du crédit d'impôt en cas de reprise d'une entreprise par les salariés. La promesse d'une relation plus facile et plus apaisée avec l'administration n'est pas nouvelle.
En 2013, François Hollande avait promis un « choc de simplification », mais quatre ans plus tard, une écrasante majorité des dirigeants interrogés (90 %) juge que cela n'a pas facilité la vie quotidienne de leur entreprise. Le coût de la loi : 1,1 milliard d'euros en 2019 et 1,2 milliard en 2020, « financés en intégralité par la revue des aides aux entreprises », a précisé le ministre Bruno Le Maire. « Pacte va permettre aux entrepreneurs d'aller au bout de leur projet », a abondé la secrétaire d'État à l'Économie, Delphine Gény-Stephann. « Notre volonté est d'encourager la prise de risque, dans un cadre stable », a-t-elle poursuivi. Et il y a surtout cette promesse d’un point de croissance en plus que ses partisans comme ses détracteurs ne manqueront pas de ressortir dès que la loi aura été appliquée et qu’elle aura eu le temps, ou non, de porter ses fruits.
Source : 1. La grande consultation des entrepreneurs (vague 32) – septembre par OpinionWay
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