Propos recueillis par Ken Joseph
Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin
Bosseur, pugnace et de fière allure, Jean-Pierre Pierin semble avoir pris ses aises le long de son aventure entrepreneuriale. Et celui qui, tantôt, se refusait d’échouer et qui a aujourd’hui comme seule religion la monétique, incarne inévitablement sa réussite : celle de la liberté pièce secrète de ses ambitions…
Le devoir de revenir.
Dernier d’une famille monoparentale de huit enfants que notre mère a élevé seule ; je suis né à Saint-François le jour de la fête de Saint-François d’Assise… J’y ai passé toute mon enfance et mon adolescence à pratiquer tous les sports et activités que nous offrait Saint-François, une époque heureuse, bien que difficile financièrement, entre une famille aimante et ma petite bande d’amis. Le passage au lycée de Baimbridge fut une période qui m’a profondément marqué, nous y avons vécu un drame lors de notre année de terminale, la perte d’un de nos camarades dans une fusillade : « L’affaire Charles-Henri Salin ». Cela nous a tellement ému que nous avons tous eu notre baccalauréat en mémoire de notre camarade assassiné. J’ai pu bénéficier d’une aide régionale et d’une bourse afin que je puisse étudier à Paris sans imposer à ma mère ces frais supplémentaires, sachant qu’elle ne pouvait pas y faire face. Donc je n’avais pas droit à l’échec hors de mon île…
La réussite des chefs d’entreprise noirs me galvanisait, nous pouvions tous réussir, mais la première chose à faire, avant tout, était de revenir.
Arrivé à Paris en 1986, étudiant à Jussieu Paris VI en Deug A (mathématiques et physique structure de la matière), j’ai vécu le début de la grève des étudiants contre la loi Devaquet, et j’ai bien compris que l’union faisait la force et permettait de se faire entendre. Je suis resté, en tout, neuf ans en métropole, entrecoupés d’une année sabbatique qui m’a permis de rester au chevet de ma mère victime de son premier AVC. Je ne souhaitais surtout pas passer le cap des dix ans hors de mon île. Je voulais rentrer et être utile à mon pays. De retour à Paris, la mort dans l’âme, en quittant ma mère une deuxième fois, je me suis orienté vers un parcours en électrotechnique et informatique industrielle, j’ai suivi des cours d’ingénierie à l’EPITA (École des ingénieurs en intelligence informatique), qui m’ont permis d’effectuer un stage dans une société EIS à Ris-Orangis dans le 91.
L'heure de la monétique.
Mes premiers pas dans la monétique ont commencé à Créteil à Monétique SA, mon travail et mon sérieux au sein de cette entreprise ont été remarqués et j’ai pu acquérir rapidement la confiance de ma direction et de mes collègues qui m’ont élu délégué du personnel. Une expérience qui me guide jusqu’à aujourd’hui dans la gestion de mes rapports sociaux au sein de mon entreprise. Plusieurs voyages et stages aux États-Unis et à Cuba, durant cette période, m’ont affermi professionnellement et permis de comprendre l’esprit des affaires. J’avais la certitude qu’il y avait des choses à faire dans notre espace caribéen.
Malgré les embûches, les difficultés de mon entourage à m’accompagner et me comprendre, j’avais le goût du risque, je l’ai toujours eu, je voulais faire des affaires…
La réussite des chefs d’entreprise noirs me galvanisait, nous pouvions tous réussir, mais la première chose à faire, avant tout, était de revenir. J’ai donc proposé à la direction de Monétique SA de m’accompagner pour créer une filiale en Guadeloupe, car il y avait un besoin de service dans notre domaine.
Monétik Alizés est donc né en avril 1995, filiale de Monétique SA. Nous étions spécialisés en maintenance monétique et je souhaitais apporter les mêmes services aux commerçants et artisans guadeloupéens. L’implantation ne fut pas simple, sans étude de marché, avec uniquement deux ans d’expérience en monétique. Je me suis installé à Jarry, mon oncle y avait un atelier de réparation de moteurs, je lui ai loué un bureau de 20 m2, il y avait juste un ordinateur et un téléphone à cadran (269 696). Début de l’activité sans aides ni subventions, le technicien est devenu son propre patron et les lourdes démarches administratives qui lui prennent la moitié de son temps s’imposent à lui.
Cette aventure était vraiment très personnelle. Nos parents nous avaient toujours fait comprendre qu’il fallait être fonctionnaire pour réussir, j’ai toujours su que je ne souhaitais pas cette vie : dépendre de l’autre. Ne jamais se mentir à soi-même est l'une de mes devises et être libre. Oui, la liberté a toujours été le moteur de mes ambitions, les plus secrètes.
Une volonté de fer.
Malgré les embûches, les difficultés de mon entourage à m’accompagner et me comprendre, j’avais le goût du risque, je l’ai toujours eu, je voulais faire des affaires. Les banques n’y croyaient pas. Ce domaine de technologie, la monétique, était méconnue et j’ai dû faire face, seul, aux difficultés financières et de gestion d’entreprise, mais c’était possible, surmontable, j’en étais sûr. Ma conviction ne me faisait jamais défaut même dans les moments les plus difficiles. Sans perdre mon enthousiasme, j’ai dû trouver de nouvelles stratégies de commercialisation de mes services. Étant seul et n’ayant pas l’âme d’un commercial, j’ai dû devenir un vendeur.
On ne réussit pas seul. Je ne vais pas oublier tous ceux qui m’ont aidé à consolider les bases de Monétik Alizés : les amis qui sont devenus mes premiers clients et qui le sont toujours depuis 26 ans, tous ceux qui ont participé au début de cette aventure et qui ont contribué à la réussite de Monétik Alizés.
Au début, ce n’était pas simple, mon avenir en dépendait et celui de ma nouvelle famille. Je devenais père d’une petite fille deux ans après la création de Monétik Alizés. Donc il fallait redoubler d’efforts pour naviguer sans relâche dans les méandres de ma nouvelle vie. Oui, c’est possible de croire en une vie meilleure, mais encore faut-il y être préparé et je ne l’étais pas. Alors j’ai redoublé d’efforts, je ne me suis jamais laissé abattre, j’ai pris ma kanawha (pirogue amérindienne) et jusqu’à ce jour, je me suis laissé voguer sur cette mer des Caraïbes, d’île en île, bercé par les alizés comme jadis, ces Amérindiens qui peuplaient cet archipel caribéen, en ramant, sans jamais baisser les bras. J’espère que Monétik Alizés soufflera très longtemps pour promouvoir une autre vision du service monétique dans la Caraïbe.
Réussir.
On ne réussit pas seul. Je ne vais pas oublier tous ceux qui m’ont aidé à consolider les bases de Monétik Alizés : les amis qui sont devenus mes premiers clients et qui le sont toujours depuis 26 ans, tous ceux qui ont participé au début de cette aventure et qui ont contribué à la réussite de Monétik Alizés. Comme cet homme d’affaires qui me conviait régulièrement à sa table, mon JR à moi (cela me faisait penser au feuilleton Dallas), m’apprenant les petites subtilités du business aux Antilles. Sa phrase préférée était : « Quand tu réussis en Guadeloupe, tu peux réussir dans le monde entier ». Quel privilège j’ai eu, la transmission d’un père spirituel. En l’écoutant, j’ai su appliquer ses conseils, je suis devenu un chef d’entreprise dans mon pays.
Entreprendre en Guadeloupe, aujourd’hui, n’est plus une sinécure, il faut avant tout avoir confiance en soi et surtout croire en son projet.
Le marché de la monétique étant dominé par les banques et à l’époque par Datacom, j’ai dû innover, en commercialisant une marque de TPE (Terminal de paiement électronique) qui n’était pas vendue aux Antilles Guyane : Ascom Monetel. Cette marque équipait ses terminaux de microprocesseurs plus puissants et de lecteur à carte à mémoire EMV (EUROCARD MASTERCARD), technologiquement, j’avais fait le bon choix. Étant nouveau sur le marché de la maintenance monétique, je ne pouvais pas me développer totalement, il fallait vendre des terminaux pour en assurer l’assistance et le SAV. J’étais dans l’obligation de commercialiser une nouvelle marque de TPE pour faire la différence. Le service à la clientèle, la proximité, l’accompagnement technique téléphonique, le conseil avisé au développement aux nouvelles solutions d’encaissement ont changé le visage de la monétique ; la marque Monétik Alizés est aujourd’hui associée au terminal de paiement. L'enseigne est implantée en Guyane, Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nous sommes partenaires de plusieurs sociétés métropolitaines qui souhaitent étendre leur champ d’action sur les Antilles-Guyane. Nous sommes, avant tout, une société de services partenaires des établissements bancaires.
Entreprendre en Guadeloupe, aujourd’hui, n’est plus une sinécure, il faut avant tout avoir confiance en soi et surtout croire en son projet. La dématérialisation électronique favorise le développement commercial au rang mondial et nous devons y prendre notre place. En tout cas, l’avenir de la monétique aux Antilles-Guyane et dans le monde est énorme…
Nous souhaitons demeurer un acteur important de la monétique et nous devons faire évoluer nos services, apporter toutes les nouvelles solutions de paiements électroniques aux commerçants pour les aider à développer leur activité et l’économie de nos régions. Mais nous devons surtout croire en notre jeunesse et l’aider à réaliser ses propres rêves…
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