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Fondation d'entreprise, révolution solidaire

Dernière mise à jour : 12 mai 2023

Par Maryse Doré

Illustrations : Mathieu Delord

 




Quinze ans après l’application de la loi Aillagon, du 1er août 2003, sur le mécénat, le nombre de fondations d’entreprises n’a cessé de progresser en France. Une dynamique constante depuis 2010, tant pour ce qui est du budget alloué que du nombre d’entreprises engagées dans le mécénat. En vérité, cette progression tient moins à l’exploitation d’avantages fiscaux qu’à la volonté des entreprises de rationaliser leur politique de mécénat et de transmettre une image cohérente. Et si le mécénat d’entreprise était un domaine, jadis, réservé aux grandes entreprises, aujourd’hui, il intéresse désormais les PME et les TPE, numériquement très présentes. En effet, le poids des PME parmi les entreprises mécènes a progressé de 9 points. Elles représentent dorénavant un quart des mécènes et 29 % du budget. En revanche, du côté des plus petites, 12 % des TPE sont engagées dans le mécénat et représentent 11 % du budget global, alors qu’une grande entreprise sur deux est mécène. Ainsi, on compte 14 % d’entreprises mécènes en France soit 170 000 entreprises, pour un budget de 3,5 milliards d’euros en 2016, soit plus de 25 % en deux ans. D’autre part, au 30 juin 2018, la France comptait 510 fondations créées par des entreprises, dont 411 fondations d’entreprise contre 240 en 2008.


(…) les entreprises par leurs fondations jouent un rôle beaucoup plus proactif dans la prise en charge des fragilités sociales. En œuvrant à la recherche de solutions, elles deviennent de nouveaux boosters d’innovation sociale.

Et les perspectives sont très optimistes, puisque près de 80 % d’entre elles déclarent vouloir stabiliser ou augmenter leur budget dans les deux ans à venir. Bien sûr, la législation, plus que favorable depuis 2003, y contribue fortement. Mais finalement, l’aspect financier ne serait qu’un facilitateur, puisque l’incitation fiscale n’est que très rarement la motivation première et arriverait même en dernière position. Première finalité : contribuer à l’intérêt général ; deuxième : exprimer et incarner les valeurs de l’entreprise. Vient ensuite la volonté de valoriser l’image et la réputation de l’entreprise. In fine, les entreprises sont toutes concernées par le mécénat. Et comme le prédit François Debiesse, le président d’Admical, association qui développe le mécénat depuis sa création en 1979 : « L’entreprise de demain sera engagée ou ne sera pas ».



Qui dit mécénat, pense habituellement culture.


Historiquement, cette forme d’action sociale apparaît en France pour soutenir et valoriser la production artistique. Pourtant, les champs d’intervention des entreprises mécènes sont en réalité très divers, tout en étant conditionnés par un cadre réglementaire. Celui-ci prévoit qu’elles puissent intervenir auprès d’organismes ou de personnes exerçant des activités présentant un intérêt général. Une notion souvent associée aux projets comportant un aspect culturel, sportif, éducatif, social ou encore philanthropique. Ces dernières années, le contexte de crise a eu une influence forte sur les domaines privilégiés par les entreprises. Elles concentrent désormais leurs efforts sur les enjeux de développement humain. « On observe que les fondations se recentrent sur leur territoire d’ancrage pour prendre en charge les urgences sociales les plus fortes, ce qui constitue d’habitude une compétence des collectivités territoriales », décrit Sylvain Reymond, responsable mécénat et investissement citoyen du réseau « Les entreprises pour la Cité ». Cet organisme, qui regroupe 250 entreprises engagées dans une démarche de responsabilité sociétale, a publié en 2016, en partenariat avec le cabinet de conseil EY, un panorama consacré aux fondations et aux fonds de dotation. Résultat de cette étude : les principaux domaines d’intervention de ces structures sont l’éducation (58 %), l’action sociale contre la précarité et l’exclusion (49 %) et l’insertion professionnelle (43 %). En queue de peloton se trouve le sport, choisi par 13 % des fondations seulement. Ainsi, relativement aux difficultés des institutions, les entreprises par leurs fondations jouent un rôle beaucoup plus proactif dans la prise en charge des fragilités sociales. En œuvrant à la recherche de solutions, elles deviennent de nouveaux boosters d’innovation sociale.



L’Admical publie également tous les deux ans un baromètre sur le secteur. D’après les chiffres de 2016, les entreprises agissent principalement dans les domaines du sport (48 %), du social (26 %) et de la culture (24 %). Ce résultat ne contredit pas pour autant le panorama concernant les fondations. « 97  % des entreprises mécènes sont des très petites et moyennes entreprises (TPE et PME), numériquement très présentes. Le sport reste l’un de leurs principaux domaines d’intervention, ce qui avantage ce domaine d’intervention au classement général », explique Sylvaine Parriaux au journal Le nouvel économiste, qui précise que les chiffres concernant les budgets donnent une vision plus juste de la réalité. Les montants les plus importants sont, en effet, consacrés au social (17 % du budget global de 3,5 milliards d’euros en 2015), à la culture (15 %) et à l’éducation (14 %). Les pratiques diffèrent ainsi selon la taille des entreprises. « Une petite structure va raisonner par rapport à son territoire. Sa motivation est d’y contribuer au-delà de son business », souligne Sylvaine Parriaux. Comme vu ci-dessus, le sport est un domaine qui se prête particulièrement bien à cette ambition. Les grands groupes vont quant à eux chercher à être en cohérence avec leur stratégie responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ils ont tendance à choisir des actions qui font écho à leur domaine d’activité.


La fondation d’entreprise peut répondre à des enjeux complémentaires : ressources humaines, image, ancrage territorial et développement durable.

Ainsi, dans bien des cas, la fondation d’entreprise s’inscrit dans une certaine continuité : engagement de l’Occitane en Roumanie dès 1989, soutien des journalistes d’Elle (magazine) à la création de ROZ (un magazine féminin en Afghanistan), la fondation EDF qui envoie entre autres ses techniciens pendant 15 jours en mission à l’étranger pour installer des panneaux photovoltaïques dans des zones sans électricité. Il peut aussi s’agir de donner de la cohérence interne à un groupe diversifié, comme chez Vinci.



© Tobias Jelskov



La fondation d’entreprise peut répondre à des enjeux complémentaires : ressources humaines, image, ancrage territorial et développement durable. Il n’est pas non plus absurde de tabler sur des retombées commerciales à condition de bien se différencier. Les messages véhiculés par le mécénat peuvent surtout, plus facilement investir le champ social ou environnemental, par rapport à la publicité accusée de « greenwashing » (responsabilité environnementale). Si les publics sont variés (société civile, clients et médias), la fierté d’appartenir à l’entreprise apparaît à la fois comme un objectif et comme une condition de réussite. Les salariés peuvent être consultés pour définir les axes du mécénat, comme pour la fondation Areva, ou pour y soumettre des projets et apporter des compétences. Avec la crise, il apparaît que la fondation d’entreprise joue en outre un rôle stabilisateur, assurant une image de l’entreprise dans la continuité. Engagée sur 5 ans, la fondation d’entreprise ne peut pas faire l’objet de variable d’ajustement, même si certaines d’entre elles n’ont pas survécu à leur fondateur comme la Fondation Vivendi. Pour trouver un terrain d’entente, le mécénat se révèle fructueux lorsqu’il intervient sur un terrain proche de l’activité de l’entreprise, voire au sein d’une communauté, où elle est présente. L’environnement a logiquement fait une percée dans des fondations comme Veolia Environnement ou EDF.


A contrario, le rachat en 2007 par un groupe d’entreprises d’un tableau de Poussin au profit du Louvre pour une somme rondelette avait fait grincer des dents dans les milieux syndicalistes de certaines entreprises et fondations donatrices. Bien qu’il soit fondé sur un acte volontaire, le mécénat s’imprègne de plus en plus des nouvelles exigences de la société civile et de responsabilité. Pour atteindre ses objectifs, la fondation doit s’appuyer sur de vraies compétences, souvent issues de plusieurs univers. Déléguée générale de la fondation d’entreprise Elle, Karine Guldeman provient du monde associatif. Autre exemple de diversité, le conseil d’administration de la fondation Air Liquide est composé de neuf membres, dont un représentant du personnel et « trois personnalités extérieures qualifiées » dans le domaine de l’environnement, de la santé et des micro-initiatives.



Les mécènes conservent parfois certains complexes vis-à-vis de la communication externe, sauf dans le domaine culturel, où par exemple des fondations d’entreprise telles que Ricard, Louis Vuitton, Hermès, Cartier bénéficient de bonnes couvertures dans la presse artistique. En revanche, la communication sur les actions de solidarité se révèle un exercice délicat dans une France à la tradition judéo-chrétienne. En effet, certaines entreprises sont encore frileuses et hésitent par crainte d’être taxées de récupération en faveur de leur image. Cependant, les choses évoluent, lentement, et les entreprises assument de mieux en mieux leur rôle dans le domaine de la RSE y compris dans le domaine de la solidarité. Le mécénat d’entreprise n’a d’ailleurs pas à rougir puisqu’il développe de plus en plus des logiques d’investissements réciproques avec ses partenaires, dans lesquelles des résultats concrets sont poursuivis. Les fondations veulent en effet maximiser leur impact social et environnemental. Ce sont d’autres bailleurs de fonds, les philanthropes capitalistes anglo-saxons, qui ont amorcé de nouveaux concepts comme le « retour social sur investissement ». Il faut être capable de pister chaque euro investi, une exigence rendue encore plus incontournable avec la crise.


Avoir sa propre fondation permet de motiver davantage ses salariés, qui peuvent plus facilement participer aux programmes. Les retombées en matière d’image sont beaucoup plus importantes.

Sur ces bases, la fondation d’entreprise se révèle un excellent instrument pour maîtriser son action et tenir un discours cohérent, notamment vis-à-vis des médias, parfois méfiants, mais aussi des actionnaires. La professionnalisation du mécénat peut contribuer à améliorer la réputation du monde des affaires. Au-delà des montants mis en dotation, la fondation constitue un outil peu coûteux, susceptible de créer un effet de levier à la fois au sein de la firme et dans la société, dans la mesure où les partenaires du donateur sont poussés à atteindre l’excellence. La crise aura eu pour effet de favoriser les investissements dans la solidarité aux dépens de l’international. Certains projets de création de fondations, momentanément gelés, devraient se débloquer lorsque la conjoncture sera devenue meilleure. Souvent, la création d’une telle structure vise à apporter de la lisibilité à la politique de mécénat d’une entreprise vis-à-vis de l’extérieur, et l’incite à clarifier son champ d’action.



Quelques exemples de réussite locale...


La Fondation Semsamar solidarité.

Créée en 2011 par la Semsamar qui l’a doté d’un fonds initial de 150 000 euros, la fondation a pour but de structurer les actions sociales menées par la SEM au profit des familles défavorisées, des jeunes et de la promotion de valeurs telles que l’excellence ou la citoyenneté active. Semsamar Solidarités soutient à ce titre les structures associatives engagées dans l’action sociale à Saint-Martin, Guadeloupe, Guyane et Martinique.


La Fondation Claude Emmanuel Blandin.

Première fondation d’entreprise formée en Guadeloupe, la Fondation Claude Emmanuel Blandin mène des actions inscrites dans des champs d’intervention permettant le développement économique, social et culturel en avantageant l’éducation et la science. La bourse « mobilité Québec » est une action phare de la fondation Claude Emmanuel Blandin, qui s’inscrit dans une volonté de rendre plus accessibles les sciences et les techniques au plus grand nombre tout en promouvant la mobilité à l’international. D’autre part, la fondation porte sa contribution à de nombreux événements tels que le « prix de l’Audace » organisée par l’Union des Entreprises ou encore le Concours Robotique First.


La Fondation Nestlé France.

Créée en septembre 2008 sur le thème « Manger bien pour vivre mieux ». Sa naissance est partie de la publication d’un Livre blanc, qui dresse un panorama des habitudes alimentaires en France. La fondation d’entreprise récompense des acteurs de terrain, en soutenant notamment des projets de recherche dans le domaine des sciences sociales et humaines pour mieux cerner l’évolution des comportements alimentaires. Elle a aussi mis en place un prix, les « Nids d’or », qui récompense des projets autour de la nutrition (éducation, plaisir, activités physiques et santé).



© Fondation Hermès



Alors que les États-Unis bénéficient d’une grande générosité du public et de l’existence de puissants philantropreneurs, la France dispose quant à elle d’un cadre fiscal très favorable, notamment pour les entreprises. Avec la crise, ces dernières ressentent une attente forte de leurs clients pour qu’elles intègrent, jusque dans leurs offres, une dimension éthique. Cette attente les pousse à instrumentaliser les opérations de mécénat, gommant les frontières entre intérêt commercial et intérêt général, comme c’est déjà le cas avec la multiplication des opérations de produits-partage. Avec la crise, le mécénat favorise de plus en plus la thématique de la solidarité. Dernier-né, le fonds de dotation qui permet également de faire appel aux dons du public. Peu d’entreprises y ont eu recours pour l’instant. Notons que le principal intérêt de la fondation d’entreprise ou du fonds de dotation est de permettre à l’entreprise de s’impliquer davantage dans le choix des programmes qu’elle souhaite soutenir ou pas.


Dans le mécénat, l’entreprise se retrouve essentiellement dans une position de pourvoyeur d’argent. Elle n’a pas de regard sur les projets. À l’opposé, dans une démarche proactive, la fondation est décisionnaire. Elle est en contact direct avec les experts sur des sujets qui l’intéressent.



Avoir sa propre fondation permet de motiver davantage ses salariés, qui peuvent plus facilement participer aux programmes. Les retombées en matière d’image sont beaucoup plus importantes. La fondation porte d’ailleurs très souvent le nom de l’entreprise. Ainsi, le public peut facilement faire le lien entre l’entreprise et l’action menée. La fondation d’entreprise peut communiquer autant qu’elle veut, à condition que cela porte bien sur les programmes de la fondation et qu’il n’y ait pas de but commercial. Avoir une marque déjà connue prédispose à lancer une fondation. Pour les firmes moins connues, les aspects RH prédominent souvent. La possibilité de définir les missions de la fondation peut fournir des outils pour l’entreprise.


Grâce à sa fondation, l’entreprise Rip Curl a pu mener des travaux de recherche sur l’écoconception, qui lui ont été utiles. Mais, l’ouverture sur les autres est présente, puisque ces recherches sont en « open source ». Ce programme se situe bien, comme la protection des récifs coralliens, au cœur de son métier. L’entreprise aurait eu moins de liberté en travaillant uniquement avec une ONG, comme la fondation Surf Rider, par exemple. La fondation peut aussi se révéler précieuse à un moment clé de l’histoire de l’entreprise. La fusion récente de deux entreprises a été facilitée, parce que l’une d’entre elles disposait d’une fondation, qui permettait à chaque salarié de choisir un programme à développer. Plusieurs conditions de réussite doivent être réunies : il doit exister un lien entre le métier de l’entreprise et les missions de la fondation, comme pour Lafuma la protection des Alpes ou encore le soutien des jeunes en difficulté à travers le sport. L’action de la fondation doit être communiquée et relayée en interne. Il ne faut pas laisser l’impression qu’elle est une « danseuse du Président ». Les salariés qui le veulent doivent pouvoir y participer. Une grille de sélection puis d’évolution des projets doit être préétablie, car leur sélection ne peut pas être aléatoire. Il faut définir des objectifs par projet et les évaluer chaque année avec le porteur de projet. L’idéal est de disposer d’au moins un permanent de manière à ce que la fondation soit réellement active et dispose de relais en interne dans l’entreprise. Il est indispensable que chaque année, la fondation s’investisse sur des projets et qu’elle ne soit pas « en dormance ».





Enfin, à la suite des récentes réformes fiscales, les fondations d’entreprise et les fonds de dotation affichent leur inquiétude, en particulier celle de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les premières études, menées en juillet, laissent déjà apparaître une baisse des dons de l’ordre de 60 % à la suite de cette réforme, et cette tendance devrait, en principe, s’inscrire dans la durée. Quant au prélèvement à la source, son effet devrait être seulement temporaire, mais favorise l’attentisme des particuliers par manque de pédagogie sur les modalités de l’année de transition.


Enfin, et non des moindres, la suppression de la « réserve parlementaire » des députés, en juillet 2017, a fait disparaître une importante source de financement des actions culturelles locales. Face aux menaces budgétaires qui pèsent, une piste est à explorer sur le développement du mécénat de compétences, sous forme de prestation de services ou de mise à disposition de main-d’œuvre. Mais à l’heure actuelle, les dispositions législatives actuelles sont imprécises et ne permettent pas d’articuler correctement le mécénat de compétences avec les règles de la commande publique.


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