Propos recueillis par Ken Joseph
Photos : Éric Corbel
Elle incarne une féminité assumée et affranchie des diktats. Refuse les étiquettes même celles qui l’ont fait connaître du grand public. Inventive, elle se définit comme « multipotentielle ». Une entrepreneure éprise de créativité, boulimique du travail, qui signifie avec éclat que l’audace reste son unique étole. Décryptage.
Briser les codes.
Après Miss France, j’ai repris mes études et j’ai fini en tant que major de promotion de l’Université Paris II Panthéon-Assas avec un master 2 en marketing et communication des entreprises obtenu avec mention bien. Récemment, j’ai vu que l’on qualifiait certaines personnes de multipotentielles. Je pense faire partie de cette catégorie, car lorsque je me lance dans un projet, il est rare qu’il s’achève sur un échec. Je me donne les moyens de réussir, en travaillant dur. Cela a été le cas durant mon cursus scolaire et universitaire, et aujourd’hui dans le domaine professionnel. Le choix de reprendre mes études après Miss France était primordial pour moi, car je voulais me construire une carrière et ne pas être enfermée dans une image.
L’année de Miss France n’a pas été la période la plus épanouie de ma vie, mais je suis très reconnaissante, car c’est aussi cette expérience qui a forgé la femme que je suis aujourd’hui.
Miss France c’est vraiment l’aventure d’une vie. Et dire que je ne rêvais pas d’être Miss France (rires) ! L’expérience m’intéressait, m’intriguait. C’est un univers que j’ai découvert avec mes élections déjà de Miss Guadeloupe puis de Miss France. Pour la petite histoire, je me suis présentée à Miss Guadeloupe en candidate libre et j’ai appris à marcher en talons spécialement pour l’élection. À Miss France, on est élue jeune fille et lorsqu'on remet sa couronne on devient une jeune femme chef d’entreprise. On voyage, on ouvre son horizon, on mûrit et l'on s’endurcit aussi beaucoup, car passer de l’ombre à la lumière suscite énormément de convoitise et de jalousie. L’année de Miss France n’a pas été la période la plus épanouie de ma vie, mais je suis très reconnaissante, car c’est aussi cette expérience qui a forgé la femme que je suis aujourd’hui.
Avant de reprendre mes études en formation initiale en 2006, j’ai travaillé au Conseil Régional de la Guadeloupe au service tourisme, en parallèle, je travaillais avec le Comité du Tourisme de la Guadeloupe sur la promotion de la destination, je suivais des cours du soir et le samedi matin. À la région, j’ai débuté en bas de l’échelle. Tout en étant en poste, j’ai passé le concours de rédacteur territorial en France que j’ai obtenu. Je dégageais aussi du temps pour faire des activités d’ancienne Miss France (présence à des élections de Miss essentiellement et des œuvres de charité). Je travaillais sans cesse, j’avais un rythme de fou. Heureusement, ma famille m’épaulait et je faisais du sport. J’ai beaucoup souffert de la méchanceté gratuite de certaines personnes quand j’étais à la Région. Je recevais des courriers anonymes, des lettres d’insultes à mon travail… Après sont arrivées les rumeurs… En revanche, cela ne m’a jamais posé de problèmes, car l’attention des gens était occupée par des choses fausses ce qui me permettait d’avancer sereinement sur mes projets. Les rumeurs sont en quelque sorte la rançon de la gloire.
Pendant longtemps, l’échec ou plutôt la peur de l’échec m’a bloqué. Toutes mes décisions étaient liées à la sécurité et l’absence de risque… Je pense que la naissance de mon fils a été la clé.
Lorsque j’ai obtenu ma licence d’administration publique avec mention, alors que je travaillais au Conseil Régional, mes professeurs m’ont incité à poursuivre mes études et c’est comme cela que je suis retournée sur les bancs de la fac en 2006. En 2007, je décide de partir de nouveau sur Paris pour achever mon 3e cycle, j’obtiens deux masters qui m’ouvrent les portes des cabinets d’avocats d’affaires internationaux sur Paris. Mon dernier poste en tant que salariée était celui de Business Development Manager au sein du cabinet d’avocats d’affaires anglo-saxon Ashurst LLP. Je dirigeais le département marketing et communication du bureau de Paris.
Missco & co.
Je crois que dans un coin de ma tête, j’ai toujours voulu entreprendre, créer de la valeur et des richesses. Très jeune, j’ai investi dans l’immobilier. J’étais propriétaire de mon premier bien à 21 ans. Je suis une boîte à idées (rires), pour moi-même et mes ami(e)s. Des projets, des idées j’en ai eu des tas, mais le temps me manquait. Lorsque je vois le rythme que j’avais, je me demande aujourd’hui comment j’ai réussi à tenir. Je suis toujours aussi active, mais je fais attention à avoir un certain équilibre.
Pendant longtemps, l’échec ou plutôt la peur de l’échec m’a bloqué. Toutes mes décisions étaient liées à la sécurité et l’absence de risque… Je pense que la naissance de mon fils a été la clé. C’est lui qui m’a boosté. Je voulais être un exemple pour lui, qu’il se dise qu’il faut foncer et ne pas avoir peur. Entreprendre, créer une entreprise, dans ma famille c’est un concept abstrait. Je suis issue d’une famille de fonctionnaires, mes parents l’étaient et mes frères le sont. J’étais la seule déjà à être salariée dans le privé. Le jour où j’ai dû annoncer à ma mère que je renonçais à ma carrière pour me lancer dans l’entrepreneuriat, je crois que le sol s’est dérobé sous ses pieds. En toute franchise, je pense que c’est toujours compliqué pour ma famille, car être entrepreneure c’est l’aventure, l’incertitude… Elle s’inquiète pour moi, mais pour autant j’ai son soutien indéfectible et c’est précieux !
Dans le système français, je crois que tout est fait pour nous faire renoncer à entreprendre. Administrativement, c’est procédurier, long, lent. Si on n’est pas motivé, on peut abandonner. Obtenir des financements, ce n’est pas simple non plus…
Une fois que ma décision a été prise de réaliser mes projets, à aucun moment je n’ai pensé à abandonner. J’ai douté oui, mais revenir en arrière jamais. Même en quittant mon cabinet, je n’ai pas eu de regrets. Je pense que je suis actuellement à ma place. Je me suis donné deux ans pour faire décoller mes activités et faire le bilan. Selon le constat, je verrai quelles seront les décisions à prendre. Dans tout choix, il y a des sacrifices. J’ai renoncé à un salaire confortable, une carrière toute tracée pour réaliser mes projets sans l’assurance que tout fonctionne. Cela en vaut la peine. Et puis, l’idée de cumuler un poste en tant que salariée et ma vie d’entrepreneure ne sont pas impossible pour moi.
Missco & Co est pour le moment une SASU, mais dans mon rêve le plus fou, cela deviendra une holding (rires) ! C’est la société qui regroupe les trois activités que j’ai lancées en 2018. Globe Student, le guide de survie pour son premier hiver à destination des jeunes Ultramarins qui rejoignent l’Europe pour poursuivre leurs études. Ma Story, une série d’interviews de personnalités emblématiques afrodescendantes sur le thème comment faire d’un échec un atout et enfin Akamissco, une boutique en ligne d’accessoires de mode, de produits de beauté et de produits d’intérieur d’inspiration caribéenne.
D’un point de vue du financement, mes deux premières activités ont été intégralement autofinancées. Pour Akamissco, j’ai dû recourir à l’emprunt bancaire et j’ai également obtenu un prêt d’honneur de France Initiative. Je me suis beaucoup appuyée sur mon expérience personnelle et professionnelle. En complément, j’ai suivi des formations auprès de la CCI de Paris et d’Île-de-France sur la partie e-commerce et la gestion d’entreprise. Se former tout au long de sa vie c’est important. Personne n’a la science infuse. Les activités lancées sont le résultat d’une quête de sens : à savoir promouvoir et soutenir nos talents, nos savoir-faire et notre jeunesse. Dans le système français, je crois que tout est fait pour nous faire renoncer à entreprendre. Administrativement, c’est procédurier, long, lent. Si on n’est pas motivé, on peut abandonner. Obtenir des financements, ce n’est pas simple non plus. Une des qualités à avoir en tant qu’entrepreneur : c’est faire preuve de résilience, il ne faut rien lâcher, toujours trouver des solutions et mobiliser son réseau. J’apprends au fil des jours.
Aujourd’hui, c’est Akamissco qui occupe la majorité de mon temps. Je travaille à faire décoller les ventes et faire connaître le site. C’est un concept plein de belles promesses. Je dois travailler sur mon impatience. J’aime quand ça va vite. Il faut que j’apprenne à donner le temps au temps (rires). J’ai toujours beaucoup d’idées, je dois aussi me canaliser pour ne pas m’éparpiller. Pour autant, un nouveau projet est en route !
Mental d’entrepreneur.
Aujourd’hui, je souhaiterais pouvoir vivre correctement des activités que je lance. Quand on travaille grâce à ses passions, ce n’est plus une contrainte. C’est quelque chose que j’aimerais expérimenter réellement. J’essaie de m’accorder du temps, prendre soin de moi et aussi passer du temps de qualité avec mon fils, Nelson. Par exemple, le mercredi après-midi lui est dédié. Je l’accompagne à ses activités, on passe du temps ensemble, on joue, on rit… Depuis que j’ai quitté mon emploi de salariée, je le récupère après l’école, au centre de loisirs. Il n’a plus de nounou pour le moment.
Des erreurs, oui j’en ai certainement faites et j’en ferai encore. L’idée c’est d’en avoir conscience et de ne pas avoir peur de se remettre en question.
Pour moi la femme, c’est celle qui arrive à concilier toutes ses vies, femme active, mère de famille, amie, amante. C’est important pour moi de conserver une vie sociale, de voir mes ami(e)s, même si dans les faits c’est compliqué. Les journées ne sont jamais assez longues. Je n’aime pas l’idée de la femme potomitan, mais c’est une réalité dans notre société guadeloupéenne. Celles qui le sont n’ont pas eu d’autres choix que de l’être, c’est tout. C’est souvent face à l’adversité que l’on se révèle à soi-même et aux autres, homme ou femme. Je pense tout de même que la femme a plus de ressources pour se relever des épreuves difficiles de la vie, des 3 D (divorce, déménagement, deuil). Je ne suis pas féministe pour un sou. J’ai besoin d’un homme à mes côtés, de son aide, son support et son amour. Mais je n’en ai pas toujours eu et cela ne m’a pas empêché d’avancer. Pour être bien à deux, il faut savoir être bien seule. Le moment où je me suis sentie complète en tant que femme, c’est en devenant mère. L’arrivée de Nelson a été un bouleversement considérable. Dans l’absolu, j’ai toujours rêvé de fonder une famille, mais en même temps je me demandais si je serais à la hauteur. J’ai fait un baby blues après sa naissance, je n’ai pas réussi à l’allaiter. J’ai culpabilisé, beaucoup, mais j’ai pu compter sur le père de mon fils qui a été présent, donnait le biberon, changeait les couches… Il était très impliqué et compréhensif.
Être entrepreneur c’est naviguer à vue. On ajuste les actions, on rectifie le tir si nécessaire, on confirme l’essai. Des erreurs, oui j’en ai certainement faites et j’en ferai encore. L’idée c’est d’en avoir conscience et de ne pas avoir peur de se remettre en question. À l’heure actuelle, je poursuis mon sourcing pour développer le nombre de produits mis en vente sur Akamissco.com. Je pense aussi à des partenariats et à de l’événementiel et pourquoi pas l’ouverture d’une boutique physique.
Si je devais refaire les choses, je les ferais à plus grande échelle, je verrais les choses en grand ! Je prends plus de risques aujourd’hui, mais je reste encore prudente. Pour celui ou celle qui souhaite entreprendre ; je dirais, qu’une fois que tu as ton idée, mûrit bien ton projet et surtout n’éludes pas cette phase. Prépare bien ton business plan, fais-toi aider et accompagner par des professionnels, forme-toi et puis lance-toi, fonce ! Je finis sur une citation de Xavier Dolan « Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».
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