Propos recueillis par Ken Joseph
Photos : Éric Corbel
C’est confiante et après plus de dix ans passés en tant que salariée qu’Anne-Gaëlle Lubino prend la décision de tout abandonner et de passer à l’acte en créant son entreprise. Un défi de taille que la jeune entrepreneure compte bien relever.
Une succession d’étapes.
Il me semble, sincèrement, que je n’ai pas eu ce que l’on appelle de rêves d’enfant… Ma mère me raconte souvent que je l’imitais dans son travail, mais me confirme que j’ai toujours aimé beaucoup de choses, sans exprimer d’aspirations particulières. Concernant mes envies de métier, j’ai voulu être sage-femme, enseigner le français à l’étranger, être juge pour enfants, puis juriste d’entreprise, avant de devenir responsable RH.
En réalité, je ne me suis jamais dit : « Ah ! Je vais créer une boîte, je vais devenir chef d’entreprise ». J’ai plutôt vécu cette création comme une succession d’étapes.
Mon premier emploi a commencé par un stage de fin d’études dans un cabinet de chasseur de têtes, à Paris. Pour une première expérience, il était assez insolite de comprendre qu’il fallait ruser pour entrer en contact avec des personnes en poste et manœuvrer pour susciter leur intérêt pour un nouveau poste. L’ambiance dans l’entreprise était plutôt moyenne, mais une chose me motivait au quotidien : avoir été spécialisée dans la recherche de profils à l’international. Je ne peux pas dire que je me sois sentie intégrée dans l’équipe ou dans l’entreprise, ni même dans les autres postes que j’ai occupé dans d’autres cabinets. Cette sensation que nous n’étions pas issus du même monde, culturellement et en matière de valeurs.
Quoi qu’il en soit, je suis revenue en Guadeloupe au départ pour me ressourcer. Je venais de mettre en œuvre un plan de licenciement collectif, incluant mon propre poste, qui m’avait beaucoup éprouvé humainement, émotionnellement et beaucoup questionné sur mon rôle dans l’entreprise, sur celui que j’avais joué dans la vie de ces personnes. J’étais épuisée et commençais à considérer que je n’étais pas faite pour les ressources humaines. En pleine réflexion sur la suite de mon parcours et afin de rester active, je me suis inscrite en master 2 de droit des affaires à l’université des Antilles et de la Guyane et je continuais à passer des entretiens. Celui que j’ai passé chez Wab Assurances a été un véritable coup de foudre professionnel. Et voilà comment j’ai commencé à travailler en Guadeloupe, dans cette entreprise de valeurs, pendant ma plus longue et plus intéressante expérience professionnelle, qui a duré presque neuf ans.
Le café papier, un lieu pensé pour tous.
En réalité, je ne me suis jamais dit : « Ah ! Je vais créer une boîte, je vais devenir chef d’entreprise ». J’ai plutôt vécu cette création comme une succession d’étapes. J’ai commencé à me mettre en action quand l’idée que j’ai eue d’un lieu a commencé à prendre tellement de place dans ma tête que je devais choisir entre : la creuser pour en établir la viabilité ou la ranger bien au chaud dans le tiroir des « et si ». J’ai écrit, peaufiné, compté, projeté, je me suis fait accompagner pour ne rater aucune étape dans cette exploration. Quand il s’est avéré que ce projet pouvait tenir la route, j’ai dû choisir entre maintenant et un jour, vous connaissez la suite.
Être une femme implique de gérer des choses que ne gèrent pas les hommes. Cela se respecte, mais ce n’est pas un passe-droit.
Certains ont été surpris par ce choix tout au début, sachant que j’étais bien dans mon travail et que j’aimais mon équipe. Mais très rapidement, tous ont compris qu’il ne s’agissait pas de m’en échapper et que je travaillais sérieusement à l’idée. Eddy, mon compagnon m’a tout de suite dit : banco. Il est chaque jour un peu plus dans le projet. Ma mère et lui sont mes piliers. J’avoue m’être dit plus d’une fois : « Mais qu’est-ce que tu fais ?! Tu étais bien, là tu as tout chamboulé et tu as des trucs dont tu n’avais aucune idée à gérer !!! »
Je n’ai jamais envisagé d’abandonner. Je vois toujours tout comme une addition de blocs logiques ou pas (rires). Peut-être des restes des études juridiques. Du coup une fois que j’avais mis le pied dedans, je traitais un bloc, puis un autre, puis le suivant, en gérant tout ce qu’il y avait dans chacun d’eux. Passés les moments où la question était encore d’y aller ou non, les sujets qui pouvaient provoquer de la peur sont aujourd’hui des objets de questionnements, qui me poussent quotidiennement à faire des choix, à trouver des solutions.
Le Café Papier est un café-salon de thé, dans lequel on peut également acheter des livres et de la papeterie. Il propose aux personnes qui en ont besoin un lieu confortable où se poser, seul ou à plusieurs, pour lire, travailler, se restaurer avec des produits frais fait maison, du petit-déjeuner (7 h) au début de soirée (19 h). L’idée de ce concept est de proposer en un lieu le confort, le goût de la déco, de la gourmandise…, pour que chacun puisse prendre le temps d’y trouver ce dont il a besoin. Un lieu de rendez-vous, de travail, de loisirs, de rencontres, d’échanges. Ce lieu est celui que j’ai souvent eu envie de trouver durant mes journées de travail, une pause dans l’effervescence de Jarry pour me poser avec un thé, écrire… Cette idée est venue de l’envie de proposer cette parenthèse à tous.
Comme elle me l’avait affirmé dès le départ en me parlant du soutien féministe de BNP Paribas, depuis le jour 1, l’expert crédit et mon conseiller forment un duo qui m’a accompagné dans toutes les étapes de la mise en place de ce financement avec réactivité, patience face à mes nombreuses questions…
De gauche à droite : Fabienne Dufait-Dacalor (Yotaena), Shaïna Bihary (Au Comptoir de Grem), Catherine Linel ( responsable de la communication et du marketing chez BNP Paribas Antilles-Guyane) et Anne-Gaëlle Lubino (Le Café Papier). © Éric Corbel.
Comme pour beaucoup, l’argent est une des pierres angulaires. Je n’ai pas su au départ le timing dans lequel faire les choses, car j’ignorais les délais, la méthode, etc. Je me suis d’abord adressée à Initiative Guadeloupe, structure au sein de laquelle j’ai rencontré un conseiller très consciencieux avec qui j’ai refait un important travail préparatoire, d’écriture et de projection. À cette période, j’ai également sollicité une amie, salariée chez BNP Paribas, afin qu’elle m’explique comment cela fonctionnait. Son aide a été déterminante. Déjà, parce qu’elle m’a expliqué le fonctionnement du financement d’entreprise, mais également parce qu’elle m’a présenté à l’expert chez BNP Paribas. Comme elle me l’avait affirmé dès le départ en me parlant du soutien féministe de BNP Paribas, depuis le jour 1 l’expert crédit et mon conseiller forment un duo qui m’a accompagné dans toutes les étapes de la mise en place de ce financement avec réactivité, patience face à mes nombreuses questions, pédagogie devant mon inexpérience et une omniprésence qui a fait que même angoissée par tout ça, je ne me suis jamais sentie seule. Elles sont même venues visiter le local ! Je suis très reconnaissante de tout cet accompagnement, qui du coup, est loin d’avoir été uniquement financier.
Et même si je ne voyais pas les choses ainsi, cette aventure de création force à accélérer ma résilience : pas vraiment de temps pour s’apitoyer ou s’énerver, il faut rebondir vite, trouver une solution, choisir.
Je ne parlerais pas encore d’équilibre à ce stade, parce qu’un lancement absorbe beaucoup de temps, d’énergie, de concentration, d’émotions…, que ma vie personnelle doit donc partager. Je fais tout de même attention à protéger des moments et des espaces personnels, mais le temps n’étant pas extensible, cela implique par exemple de me remettre à travailler plus tard, quand tout le monde est couché ou à trouver l’énergie de faire ce que l’on fait tous une fois rentré chez nous : l’intendance, la présence après des journées à courir sans parfois prendre le temps de déjeuner. Pour l’instant, ce rythme est nécessaire et je choisis de le tenir, grâce au soutien de mes proches. Tant que ça fonctionnera, je continuerai, tout en m’organisant un maximum pour ne léser aucun pan de ma vie.
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Mental d'entrepreneure.
Selon moi, « parce que c’est une femme » n’a jamais été en soi un motif suffisant ni pour justifier le mépris ou l’irrespect, et pas plus pour obtenir des traitements de faveur. Être une femme implique de gérer des choses que ne gèrent pas les hommes. Cela se respecte, mais ce n’est pas un passe-droit. Or, il me semble que c’est la société, justement avec sa vision de la femme et le traitement qui en découle qui génère des réactions combatives ou de victimisation. On m’a souvent fait comprendre qu’être une femme est un handicap. Ou en tous les cas dans un certain cadre. Ce qui m’insupporte, c’est le fait que ce soit une donnée induite. Un non-dit évident. Quand on me demandait qui était le DRH alors que c’était moi. Quand on me demande ce que je fais de ma fille dans la construction de ma vie professionnelle ou que des artisans du bâtiment discutent entre eux de choix qui m’incombent et sont surpris que j’aie un avis. Ou encore quand on me demandait qui j’accompagnais dans la création du Café Papier.
Si c’était à refaire, je ferais la même chose, mais probablement dans un autre ordre, avec plus de garde-fous et des vitamines beaucoup plus tôt !
Des erreurs, j’en ai fait plein ! Mais ce que l'on peut considérer comme des erreurs sont ma source principale d’apprentissage, au quotidien. Et même si je ne voyais pas les choses ainsi, cette aventure de création force à accélérer ma résilience : pas vraiment de temps pour s’apitoyer ou s’énerver, il faut rebondir vite, trouver une solution, choisir.
J’aimerais surtout inscrire durablement le Café Papier dans la liste des établissements de qualité. Si c’était à refaire, je ferais la même chose, mais probablement dans un autre ordre, avec plus de garde-fous et des vitamines beaucoup plus tôt !
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